et les beatles chantaient

D' SUITE (on's and!) von d'r KELWA

"Dànza wè d'lonmba  àm  schdagga!" (danser, virevolter comme un chiffon autour d'un bâton!) était l'expression consacrée pour évoquer ces couples qui mettaient du coeur à l'ouvrage, qui s'étaient entraînés au préalable et qui assuraient le spectacle en dansant avec élégance et justesse.

Beaux, bien assortis et coordonnés, jusque dans leurs tenues vestimentaires qui mettaient leurs prestations en valeur et soulignait l'harmonie de ces duos, liés ou promis dans la vie comme sur la piste de danse. Jupes, robes (car les femmes ne portaient alors pas de pantalon, ça n'existait pour ainsi dire pas et, de toutes manières, cela n'aurait pas fait "habillé" ou bon genre!)  et les pantalons des hommes étaient souvent créés et confectionnés dans les mêmes tissus et coloris -le blanc était à l'honneur en été-. Les hauts des jeunes femmes, chemisier ou polos, étaient le parfait reflet de la chemise de leurs cavaliers respectifs. Des couleurs plus vives et flashantes leur étaient dévolues.

Passer de la valse au tango en s'essayant au twist et au jerk au passage, ne leur posait pas la moindre difficulté. Leur aisance et l'harmonie restaient préservées et époustouflantes. L'entente et la connivence des coeurs et des corps transpiraient dans leurs évolutions et ne pouvaient laisser qu'admiratifs.  

Mais la kilbe (fête foraine) avait aussi une autre vocation, celle de tester des sensations nouvelles, de braver ou de devancer certains interdits. C'est ainsi que très jeune, c'est-à-dire, bien avant la Communion Solennelle qui représentait alors un cap, une espèce de rite de passage vers le monde des grands, quelques transgressions étaient risquées lorsqu'apparaissait tout à coup, un paquet de cigarettes dans la poche d'une camarade, des Françaises ou les sublimes dont j'ai oublié qu'elles avaient un nom, une marque. Mais dans une même boîte, il y en avait de toutes les couleurs et à l'embout doré. La classe. Les statues qui trônent sur le flan droit de l'église du village, représentaient la planque idéale pour s'essayer à crapauter et toussoter en choeur et en  presque toute discrétion. En journée, car le soir, nous savions tacitement que l'endroit était réservé aux un peu plus grands, souvent inter-villages, qui s'essayaient au flirt...

Car il y avait la période avant 14 ans et celle d'après.

Après, les mobylettes ou l'auto-stop pratiqué en groupe nous permettait d'étendre notre rayon d'action, de participer à d'autres kilbes ou festivités alentour; d'aller voir ce qui se passait ailleurs. Et il n'était pas rare que nous nous retrouvions à 5 ou 7, entassés à l'arrière d'une voiture qui daignait s'arrêter pour nous prendre à son bord. C'était avant qu'il y ait des ceintures de sécurité dans les voitures, et la Loi stipulait juste que, pas plus de deux personnes adultes ne devaient prendre place à l'avant.

Un été à la toute fin des années 60, la curiosité nous avait entraînée jusque dans le Val de Villé où un joyeux drille s'était mis à rechanter d'anciennes chansons en dialecte alsacien. Les textes étaient rigolos, un peu crus mais amusants, rythmés et entraînants. Lorsque Roger se mettait à chanter, il ne s'arrêtait pas au bout de trois chansons, il enchaînait tout ce qu'il pouvait, jusqu'à ce que les danseurs de "marches" s'écroulent ou finissent par quitter la piste de danse en rampant presque, tant ils étaient explosés, exténués!

D'r Roger..., Roger Siffer. Aujourd'hui encore on en cause car il a su devenir ce personnage haut dans le verbe, reconnu et incontournable dans le paysage alsacien. Certes, il a  changé de registre, mais il continue de tenir le haut du pavé. Ses spectacles sont toujours aussi enlevés et relevés et valent le détour par la Chouc' ou dans ses escales estivales.

Il y a dix jours  très exactement, on m'a fait le cadeau de m'emmener à son cabaret. Et même s'il m'a dit à la sortie :"dü hèsch's müll ài nét nonr f'r assa" (toi, ta bouche ne te sert pas que pour manger), on a tous bien ri et passé un excellent moment, sans temps mort. Chapeau l'artiste!

 

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"d'r 14 juillet Wècka"

 

Nous venions de négocier le tournant pour nous rendre sous le chapiteau dressé place de la Mairie. C'était le 14 juillet et il y avait la traditionnelle distribution du "14 juillet Wècka" (brioche), plus une barre de chocolat comme Sch... Jeanne n'en vendait même pas dans son épicerie.

 

Tous les enfants de 0 à 14 ans y avaient droit, et Sch... Jean n'avait peut-être plus un seul cheveu sur le crâne, mais son oeil aiguisé triait les gamins au couperet! Il repérait et refoulait sans pitié ceux  -le plus souvent des garçons- qui tentaient un second passage. Même dans une autre file que la sienne, il intervenait! Ceux qui avaient fait leur Communion Solennelle le dimanche après Pâques, n'y avaient plus droit non plus, au Wècka. Et là encore, Sch... Jean veillait à la loi et sévissait. C'était comme ça. C'était la règle et l'appliquer faisait aussi partie du jeu.

 

Chaperonnés par nos mères, Alice et Jeanne -proches géographiquement et qui faisaient tout ou presque, ensemble-, la bande de trois cousin et cousines que nous formions, piaffait déjà d'impatience en tournant au "Rein" (croisement) de la Poste. Quitter la rue d'Ebersmunster où il ne se passait jamais grand-chose pour nous en aller rejoindre et participer à l'animation joyeuse et gourmande qui règnait toujours le 14 juillet, autour de l'église, du monument aux morts et de la mairie, il ne fallait pas nous pousser pour nous faire avancer!

 

Toutefois, parvenus presqu'à hauteur du bâtiment de la mairie, je pu, du haut de mes seulement 6 ans, percevoir une agitation peu commune et qui ne ressemblait pas tout à fait à l'animation gaie et festive escomptée. Notre groupuscule restât figé dans son avancée. Monsieur le Maire, M... Paul, soutenu par deux hommes endimanchés, avançait péniblement sur ses jambes qui flageollaient. Il avait les yeux quasiment clos, les traits figés et le teint cireux qui tranchait avec le blanc de ses cheveux drus et taillés en "à la brosse", comme on disait alors. Sa tête penchait inexorablement sur le côté...

 

Le trio insolite bifurqua à quelques mètres de nous et entrepris la montée de la dizaine de marches qui mènent à l'intérieur de la mairie. La nouvelle se répandît à voix couverte: le maire avait fait un malaise pendant son allocution; sans doute le coeur. La seule évocation du "Hartz-schlàngg" (crise cardiaque) ou du "Hérn-schlàngg" (AVC ou rupture d'anévrisme) suffisait pour répandre la frayeur teintée de fatalité parmi les humains d'alors. On travaillait dur et sans trop de ménagements dans ces années-là, et certains métiers, comme celui du maire qui avait un commerce et était artisan-boulanger, mais également les ouvriers du bâtiment, de la voirie, le travail posté,... étaient redoutés car très exposés, usants autant physiquement que prématurément, et foudroyaient nombre d'hommes dans la fleur de l'âge.  D'autant plus qu'il n'y avait pas encore d'ambulances ni de SMUR, de pompiers suffisamment équipés pour débouler toutes sirènes hurlantes afin de porter secours au plus vite. D'ailleurs je me demande si l'ambulance R...  de Béndra existait déjà, ce 14 juillet 1961...

C'est sans doute un peu moche à dire, mais la tension fût quelque peu mise de côté et l'évènement majeur du jour pu quand même avoir lieu: les wéckas furent distribués dans la bonne humeur, conformément à la tradition.

Quant au maire, il devait hélas décéder deux jours plus tard.

 

(Juin 2012)

 

 

 

 



28/03/2012
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