et les beatles chantaient

"De l'autre côté du mur (début, 1ière partie, sur 3)."

 

Il n'est pas encore 5 heures du matin lorsque nous nous entassons tous les quatre: mes parents, Jean-Pierre, le "petit dernier" -quasi adopté, qui devait avoir 8 ans à l'époque-, et moi-même.

Eh oui, me voici finalement embarquée dans cette expédition familiale un peu particulière. Pas véritablement emballée (c'est que, à 20 ans, il arrive qu'on aie d'autres aspirations...), j'avais attendu la veille du départ pour me décider à finalement entasser quelques affaires dans un sac marin. Sa maléabilité m'a permis de le coincer un peu comme un passager supplémentaire sur la banquette arrière de la Peugeôt 304. Il pourra éventuellement fair office d'appui, voire d'oreiller de fortune si nécessaire, car qui sait combien de temps nous passerons dans la voiture.

 

Un dernier regard pour la maison, non, rien n'a été oublié -apparemment du moins-, nous pouvons donc jeter les clés dans la boîte aux lettres. Comme convenu, tante Alice les récupèrera toute à l'heure lorsqu'elle viendra s'occuper des lapins et du jardin durant notre absence. D'ailleurs elle est déjà réveillée elle aussi, en robe de chambre  devant le portail de sa maison, distante d'à peine cent mètres. Elle nous fait des signes d'au-revoir, mais déjà la voiture vire à gauche au croisement, direction Strasbourg, par le Heida-straessl (ancienne voie romaine).

D'une nature plutôt inquiète et casanière, tante Alice ne doit pas vraiment approuver ce voyage aventureux. Au fait, que connaissons-nous au juste de la Pologne d'où pas grand-chose ne filtre et où son beau-frère n'a surtout pas voulu retourner vivre? Oui, pourquoi n'a-t-il pas ressenti ce besoin somme toute légitime après avoir été un combattant de la première heure, avoir été fait prisonnier puis interné dans un camp de travail en Allemagne, de revoir son village et les siens, une fois que cette foutue guerre était terminée?

 

Cela faisait maintenant plusieurs heures déjà que nous roulions sur cette autoroute allemande qui devait nous mener d'Ouest en Est. Jean-Pierre a fini par se rendormir. Heureusement, car j'avais complètement épuisé mon stock de chansons et d'histoires drôles. Toujours les mêmes paysages qui défilaient, monotones, plats, inintéressants, avaient fini par avoir un effet soporifique sur lui. Jamais la moindre ville ou village à traverser ni même un clocher qui pointait de ci de là. Rien. L'autoroute s'étalait telle un lacet égaré parmi l'herbe et les attroupements d'arbres.

J'avais coincé mon verre de Nescafé vide entre les cuisses; il me faisait usage de cendrier XXL, et je m'allume goulument une cigarette. La fumée gratte délicieusement lorsqu'elle pénètre dans ma gorge quelque peu malmenée par le tour de chant forcé de toute à l'heure.

 

Il y a belle lurette que nous ne captons plus rien d'intelligible dans l'auto-radio. Et ce presque silence -exception faite du ronronnement du moteur-, invitait l'imagination à voguer, les pensées à émerger. Car à défaut de diversion visuelle, il me restait l'évasion  par l'esprit. Aahh.... rêver rien de tel pour aider à digérer  les nombreux  kilomètres qui restaient à avaler...

J'avais beau trifouiller dans mes souvenirs, même parmi les plus lointains, je ne trouvais aucun indice suffisamment précis et vivace qui m'aurait permis de me faire un semblant d'idée du pan de la famille que nous allions bien pouvoir retrouver là-bas. Combien seraient encore en vie?...

Lorsque j'étais petite, je me rappelle vaguement, mon père nous parlait parfois de la ferme dans laquelle il avait grandi, de son vieux grand-père qui régnait en patriarche despote, organisait et surtout surveillait la bonne marche de la ferme et de ses occupants.  Il promenait un oeil sévère partout à la fois depuis son promontoire. Car la ferme familiale était perchée en haut d'une petite colline qui surplombait les champs, la rivière et le village de Lechovo s'étalaient distinctement en contrebas. Rien ne pouvait donc échapper à son oeil inquisiteur, car depuis la cour il pouvait absolument tout balayer du regard. Et gare aux coups de canne qui pleuvaient immanquablement quand ses petits-fils, chargés de garder les oies après l'école, s'égaraient à aller jouer sous le pont du ruisseau, se pensant naïvement libres et protégés. Erreur, les oies, indisciplinées et roublardes, profitaient des égarements de leurs jeunes gardiens pour s'en aller s'ébattre réellement et en piétinant les cultures, tout en se servant à coups de becs au passage!

 

Et puis, il y avait aussi ce frère acteur, réputé pour son sale caractère, dur, égoïste et que sais-je encore. Lorsque je tenast tête ou que je refusais d'obéir, il arrivait à mon père de me comparer à ce frère, mon oncle. Compliquées tout de même, ces mystérieuses lois de la génétique... Qu'un môme hérite par-dessus une génération, de la tignasse rousse de sa grand-mère alors que les parents ont été épargnés par le fléau flamboyant, passe encore. Y'a des antécédents, si, si, ça s'est souvent v, surtout pour des choses aussi voyantes! Mais que moi, oui, moi, je sois le fruit d'une déviation génétique au point d'hériter du caractère trempé du tonton mal-aimé, alors là.... ça reste à vérifier, voire à prouver.

Un détail me paraissait évident, je n'étais et ne serais jamais grande comme lui. J'en ai fait mon deuil il y a un paquet d'années déjà. N'empêche que je fantasmais parfois sur le personnage de ce fameux oncle dont on me citait souvent les travers mais jamais le prénom!

La légende veut qu'il portait toujours des bottes, été comme hiver. A mes yeux, il ne pouvait donc ressembler qu'à l'un de ces fiers cosaques qui dansaient en mimant si admirablement bien, des scènes de la vie quotidienne sur fond de violons et de balalaïkas tantôt furieusement endiablés, tantôt lancinants et chialeurs. Cette musique et ces danses folkloriques slaves ô combien expressives et vives, m'ont, d'aussi loin que je m'en souvienne, toujours profondément impressionnée, émue et interpelée quelque part, c'est indéniable. Et les chants, les choeurs d'hommes surtout, ça, ça vous prend aux coeur et aux tripes, grave et fort... Bref, ce vilain tonton-là ne pouvait être que fascinant. Et quand bien même il se montrait souvent rustre et maladroit dans ses rapports aux autres, sûr qu'il se rattrapait en se défonçant comme un fou et en déshabillant son âme sur une scène de théâtre.

Mais voilà déjà deux personnes que je ne risquais plus de rencontrer au cours de cette quête d'une partie de mes origines. Le grand-père ainsi que cet oncle, sont morts des années bien avant que Hitler n'envahisse la Pologne.


La correspondance épistoliaire avec la Pologne, de très assidue dans les années 50, s'était limitée aux cartes de voeux aux Noëls, pour s'éteindre complètement ces deux, trois dernières années, donc vers 1970. Après plus de trente années d'absence sans jamais se revoir, les souvenirs finissent par s'estomper; le cercle des anciennes connaissances, se rétrécit irrémédiablement au fil du temps. En ne partageant plus rien, on finit par ne plus avoir trop de chose à s'écrire, on fait encore état des mariages, des naissances, des décès. Et, c'est triste à dire, mais avec la distance, même la mort d'un proche finit par ne plus toucher pareil. Il y eut même une période où la censure s'est amusée à rayer au marker noir, les allusions ayant trait au coût de la vie, aux difficultés au quotidien, etc... Deviner entre le peu de mots qui restaient en clair et à peu près lisibles, enrageait mon père. Ces lettres-là, il les jetait au feu aussitôt ouvertes, et piquait une colère à l'encontre d'une politique qui tentait de s'immiscer jusque dans le banal quotidien des gens de la campagne.

 

Papa n'avait pas l'habitude de partager les nouvelles qui lui parvenaient du pays. A dire vrai, personne ne l'y encourageait trop non plus. Les enveloppes couleur bleu sale ou saumon genre Sécu, portaient toujours de très beaux timbres. Mais ni mon frère ni moi-même étions collectionneurs, alors nous n'y prêtions pas plus d'attention que ça. Et, je crois que même avec la meilleure volonté du monde, aucun de nous n'aurait réussi à déchiffrer -pire encore-, à retenir les noms si compliqués des expéditeurs. Quant aux villes et villages, j'étais également bien incapable de les situer par rapport à Varsovie, seule ville qui me disait vaguement quelque chose.

Par contre, comme je les attendais, ces lettres qui nous arrivaient à l'époque de Noël!

 

Les cartes de voeux de là-bas représentaient des scènes religieuses, la crèche sous tous les angles mais jamais de Père Noël ployant sous le poids des cadeaux à distribuer dans la nuit sainte ni de sapin garni de mille lumières et au pied duquel s'étalaient une foultitude de paquets enrubannés. Mais, ces enveloppes contenaient toujours une grande hostie rectangulaire glissée dans du papier de soie ou de cellophane. Même si parfois les hosties avaient souffert du long voyage, nous en conservions les  morceaux jusqu'à Noël pour se la partager entre nous, au retour de la messe, tout comme les polonais faisaient.

 

Elle était toute aussi fade que celle qu'on distribuait à l'église de Hélsa. Les hosties de Pologne n'étaient pas consacrées, et c'était presque religieusement et avec un délice tout particulier que je la grignotais, tout d'abord par petits morceaux, lèvres retroussées, pour finir par la réduire en bouillie avec mes plus grosses molaires. Je savourais ainsi la délicieuse sensation de faire un pied de nez à soeur Etienne, mon ancienne institutrice. Car il fût un temps, le temps de ma jeunesse, où il était strictement interdit de mettre l'hostie en contact avec les dents, encore moins de la croquer, en communiant à l'église.

 

Aaah..., la pôôôvre, si elle avait su quelle gymnastique périlleuse je m'astreignais à faire pour ne pas commettre LE sacrilège suprême... Mais comment soeur Etienne aurait-elle pu se douter de mon infortune, qu'une satanée molaire qui, n'ayant pas pu se caser dans la rangée, avait pris la liberté de me pousser en empiétant gravement sur mon palais! Cette dent ne me servait strictement à rien puisqu'elle n'avait pas de vis-à-vis, mais d'aller communier avec pareille configuration, m'obligeait à pratiquer une gymnastique périlleuse avec ma langue.

Et tout ça pour éviter de pécher en croquant le corps du Christ. Aujourd'hui cela paraît risible, les temps et les conventions ayant un peu changé depuis.

 

Extrait d'une nouvelle écrite en 1992, postée le 11 novembre 2012 

 

 

 

(à suivre...) 

 

 



11/11/2012
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