et les beatles chantaient

LA CARTOMANCIENNE (1ière partie)

   Ah, qu'est-ce qu'on n'a pas entendu à l'approche de la dernière éclipse solaire le 11 août 1999... Le plus assidu et omniprésent dans les médias fût sans doute Paco Rabanne avec le spectre de la fin du monde, de notre monde, qu'il brandissait et promettait le plus sérieusement du monde! Que cela ne se soit pas réalisé, fût certes un soulagement. Toutefois, d'autres illuminés auraient décrypté que les Incas croyaient savoir que l'apocalypse se produirait pour sûr, en décembre 2012. Soit. Nous savons tous plus ou moins consciemment, que la finitude nous guette, mais mêmes si ces prédictions nous passent au-dessus de la tête, nous espérons malgré tout, qu'une catastrophe mondialisée s'avère fausse de chez fausse.

   Certaines dates ont, de tous temps, fasciné les humains. C'est ainsi que Doris, devenue citoyenne américaine depuis un bon quart de siècle, aimait évoquer lors d'une de ses visites au village, à quel point nous -gamines-, étions excitées et fascinées par l'an 2000 et comme nous fantasmions sur ce chiffre, surtout lors  des récréations dans la cour de l'école primaire des filles de Hélsa. C'est-à-dire, pratiquement un demi-siècle avant même son avènement!

 

   Qui, et que serions-nous devenues?... quel métier exercerions-nous?... à quel endroit habiterions-nous?.... avec qui?... Toujours à Hilsenheim ou dans les proches alentours? avec peut-être un océan ou juste un jardin, une rue, entre nous et nos racines?...  combien d'enfants aurions-nous?... est-ce que nous aurions encore des rêves plein la tête, des projets à mener à bien, à réaliser?...

 

   Cette échéance nous paraissait alors si éloignée, presque irréelle, et donc d'autant plus captivante. Je ne me rappelle quasiment plus des détails qui remplissaient nos conversations et nos délires de l'époque, mais, outre que nous rêvions toutes de découvrir le nouveau monde -l'Amérique-, nous avions la ferme certitude de l'atteindre, ce cap, ce basculement vers un autre millénaire. L'idée même que nous pourrions disparaître avant son avènement, ne nous effleurait même pas. 

   Et puis l'an 2000 arriva dans l'euphorie générale, que dis-je, mondiale!... et finit par passer sans soubresauts particuliers, s'écoula de manière presque trop lisse, pire qu'une lettre à la poste. Rien des terribles prédictions ne se produisit: pas le moindre bug informatique, les vieillards n'ont pas réapparus sur les listings des écoles maternelles et ont donc continué de palper et de profiter tranquillement de leur retraite; les impôts n'ont hélas rien perdu de leurs données et donc des nôtres, et les avis de paiements ont continué de pleuvoir dans nos boîtes aux lettres, herrgott sànperlooot (saperlipopette)!...

 

   Tant et si bien qu'au bout de quelques mois on a fini par ranger les tasses et les flûtes "spécial An 2000" au fond des placards telles des reliques avec les souvenirs des festivités qui avaient émaillé cette St Sylvestre extra ordinaire. Et la routine repris entièrement ses droits.

 

   Hop's, déjà 2002 où même l'Euro finit par s'imposer à nous et à nos porte-monnaie devenus anorexiques! Là, il y eut moins d'excitation, plutôt une certaine méfiance teintée d'une bonne dose de résignation.

 

   La banalité était devenue tellement de mise, que je finis par céder au chant des sirènes. Après tout, Mitterrand avait son astrologue attitrée et il se raconte qu'il ne se passait pas une semaine ou un rendez-vous important, sans qu'il ne la consulte ou ne lui téléphone. Alors pourquoi n'irai-je pas -au moins une fois dans ma vie-, voir l'une de ces diseuses de bonne aventure? 

 

   En levant un peu le voile sur mes intentions, je me rendis vite compte que j'étais très à la traîne avec ça; que de nombreuses personnes de mon entourage, allaient consulter leur voyante comme si elles faisaient  faire un bilan sanguin, un nettoyage de peau ou un détartrage chez leur dentiste. Il m'avait suffit d'évoquer légèrement le sujet et voilà qu'un nom s'imposa de lui-même: celui de Célestine. Une copine avait entendu dire qu'elle avait prédit le divorce de la fille d'une de ses collègues. Ceci à un moment où rien ne laisser présager pareille issue à un mariage heureux et sans nuage aucun en apparence du moins. Et hop's, moins de deux ans plus tard, le gendre et mari idéal s'était volatilisé! Une autre m'assura que Célestine avait "vu" la réussite aux examens du fils d'une autre amie et affirmé qu'il ferait une brillante carrière internationale. Son premier emploi l'amena en Australie. Ce qui -il faut en convenir, n'est-ce-pas?-, est plutôt un bon début pour une carrière dite internationale; s'il avait démarré en Allemagne ou en Suisse, c'eut été nettement moins impressionnant, pour nous autres, alsaciens et frontaliers de surcroît! Etc... etc...

   Na ja, ne voilà-t-y pas pile-poil LA personne qu'il me fallait solliciter?!... Seulement il y avait un hic. Célestine faisait commerce de son don dans un proche village voisin. Et même si je ne connaissais que 2 ou 3 personnes qui y habitaient, la peur d'en croiser n'en serait-ce qu'une seule lorsque je me rendrai chez elle, me tracassait et m'aurait indisposait sérieusement indisposée, gênée.

   C'est que, un village restera toujours un village... Et les commérages, des commérages.

 

   J'avais tout de même finit par convenir d'un rendez-vous avec Célestine. Et, me voilà au tout début d'une belle, chaude et ensoleillée après-midi de mai ou de juin, à supplier la sonnette de son portail! J'avais tout loisir -mais m'en serais bien passée!-, d'admirer les géraniums et pétunias qui ornaient le jardinet et la maison de Célestine.

   Par précaution, j'avais garé ma voiture dans une rue adjacente, pensant pouvoir me faire plus discrète, voire carrément transparente (dans mes rêves, oui!). Ce fût un peu loupé car j'ai dû sonner et re-sonner, réitérer plusieurs fois mes tentatives. L'attente me sembla  interminable, lorsque un grommellement  joyeux, émanant d'une petite femme âgée et dandinante qui m'apparu (enfin!) à l'angle droit de sa maison. Quel soulagement! Elle avait oublié notre rendez-vous, s'excusa-t-elle.

   Déjà à ce stade, j'aurais peut-être dû me méfier!

 

   Du coup, avec mes coups de sonnette intempestifs et insistants, j'avais chamboulé le programme de Célestine qui oeuvrait joyeusement dans son potager, situé à l'arrière de sa maison.

   
   Pour tenter de me donner une certaine contenance, j'entrepris d'engager la conversation. Je la complimentais sur ses géraniums et autres fleurs qui foisonnaient et coloriaient une  multitude de pots, de jardinières et de suspensions. Il y en avait partout, mais alors vraiment partout. Du coup, reconnaissant sans doute une complicité de main verte en moi, elle insista pour que je la suive dans son potager. Trop contente qu'elle était de pouvoir échanger et me commenter chaque plate-bande.

Je n'osais déjà plus lorgner sur ma montre.

 

   Les filles qui m'avaient encouragées et un peu poussées à venir ici, devaient guetter le texto que j'avais promis de leur envoyer en sortant de chez Célestine. Elles étaient loin de se douter de la situation dans laquelle je me trouvais engluée, elles qui m'avaient assuré que j'en aurai pour une demi-heure, voire une heure au grand maximum, selon l'inspiration et les révélations des cartes et du pendule de Célestine.

 

   Il y poussait un peu de tout et surtout beaucoup de choses, dans le potager de Célestine. Elle m'expliquait qu'un lotissement s'était mis à pousser tout autour de sa modeste demeure et avait finit par englober et jeter son ombre et sa convoitise sur son jardin, son plaisir et sa fierté.

 

   Célestine avait 87 ans révolus, et me confia que certains de ses nouveaux voisins, parachutés et implantés si près, trop près de son écrin de verdure, lui auraient même fait des propositions dans le but de lui racheter son bien afin d'agrandir le leur. Un immeuble, comme une Loi récente exige d'en ériger et ce, même dans nos campagnes, se construisait dans le quartier, juste en face, dans la Grand-rue . Ces mêmes voisins auraient bien vu Célestine y intégrer un petit appartement où elle coulerait des jours paisibles, inactive, à attendre que les heures s'égrènent, sans fatigue et sans mauvaises herbes à traquer, inlassablement.

 

   Ca y est, elle m'invite enfin à entrer dans la maison! La transition fût brutale. Car d'un extérieur florissant et lumineux, je basculais soudain dans un autre univers, que seuls d'étroites raies de lumière qui parvenaient à travers les battants des volets aux trois quarts rabattus, éclairait. J'emboîtais le pas à Célestine qui venait d'entrer dans sa salle à manger. Je m'empressais de me poser sur le bord d'une chaise qu'un chat bougon venait de quitter. La pièce était un peu encombrée, surchargée de mobilier, entre autres. Elle insistait pour que je choisisse un bonbon dans l'un des trois bocaux qui trônaient sur la table. Je me suis rabattue sur un qui était emballé. Un acidulé qui me flanquera certainement des aigreurs d'estomac. En plus il était tout dur et mettra une éternité à fondre dans ma bouche. Mais après tout, j'étais venue pour écouter, pas pour parler.

 

   Je n'y connaissais rien au rituel des cartes qui parlent de l'avenir. Chez nous, à la maison, on ne jouait qu'à la belote avec les cartes. Célestine, un peu fébrile, n'était pas encore véritablement dans son élément, observai-je. Elle tournait autour de la table, entrepris de fouiller dans un sac, puis un autre, dérangea une pile de papiers sur le buffet, ... tout en bredouillant. Pendant que moi, j'attendais la suite, attentive et un brin inquiète. Quelque chose la tracassait, ça devenait  de plus en plus évident.

 

   Toujours en marchant du mieux qu'elle pouvait -car elle s'était blessée à une jambe et portait un bandage-, elle me demanda à l'improviste, d'où je venais. Ouh laaa..., àchtung (attention), si je lui raconte tout de moi, ce n'est plus du jeu!

 

   Tout à coup, elle s'assit à la table tandis que moi, je cogitais de plus en plus quant à la suite des opérations dites occultes! Encore toute agitée mais apparemment soulagée, Célestine qui triturait nerveusement un prospectus entre ses mains, orienta la conversation sur les promotions du Supermarché Leclerc. Plus précisément, si j'avais repéré le superbe lot de trois tables gigognes en pin massif, surmontées d'un plateau en carrelage bleu?

 

   -"Euuh...., non", confessai-je, un peu contrite.

 

   Je n'ai pas scruté les pubs dans les détails, et sûrement pas tilté sur des tables, gigognes de surcroît. A ce stade, j'ajouterais -mais ça c'est mon problème-, que mon regard serait davantage attiré par les fringues et les chaussures. Bref, passons.

 

   Visiblement déçue par le peu d'enthousiasme que je manifestais, elle pointa son index sur la date de fin des promos. C'était celle d'aujourd'hui.  Tiens donc.

 

   A l'entendre, Célestine en avait un besoin impérieux, un besoin vital même, de ces fameuses tables. Et de m'expliquer qu'elle comptait y faire manger ses petits-enfants lorsqu'ils viendraient lui rendre visite. Je dû la suivre dans la cuisine où elle m'indiqua les emplacements qu'elle avait déjà prévus pour chacune de ces tables, plus aptes à accueillir une plante verte qu'une assiette garnie, si je puis risquer un avis, juste un avis. Les jeunes en question mangeraient debout, car je ne voyais vraiment pas comment on aurait pu y adjoindre une chaise. Je me suis vue fusillée du regard quand j'ai risqué la suggestion d'enlever certaines choses en double et un peu (très!) encombrantes, pour créer un peu de place pour ces tables, puisqu'elle y tenait tant que ça. Non, tout ce qu'elle avait entassé là était utile et absolument indispensable à ses yeux. Et les tables gigognes pourraient se ranger une fois le repas englouti. C'est vrai, là, elle n'avait pas faux, Célestine.

   Et elle rajouta dans la foulée:

 

   -"Wann'r von Hélsa sé, sén'r séchr mét'm auto konma?"- ("si vous habitez à Hilsenheim, vous êtes certainement venue en voiture?")

 

 

   Epoustoufflée et désarçonnée, je ne su que bredouiller un "oui" laconique.

 

   Aaah..., j'aurai voulu les y voir, les filles qui m'avaient encouragée à aller rendre voir Célestine....

Elles auraient répondu quoi, elles? Hein...? Elles auraient fait quoi, là, à l'instant et à ma place?...

 

 

........ (à suivre!) 

 

(Juillet 2012)

 

 



30/07/2012
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