et les beatles chantaient

LA CARTOMANCIENNE (2ème partie)

   Je la voyais venir, avec ses gros sabots (façon de parler!), la bien brave Célestine...

   Et ça n'a pas loupé!

 

   -"On' wa m'r schnall gada en'na fàhra, in d'r Leclerc?" (et si nous y allions rapidement, au Leclerc?).

 

   -"?....!!".....

 

   Parlementer?.... refuser cette proposition quelque peu tordue?... Ppppffff....., vous n'y songiez pas! Depuis  toute à l'heure, rien -même pas moi et ma quête d'éclairage sur mon futur-, n'existions hormis les tables gigognes que le Leclerc vendait jusqu'à ce soir, date limite oblige.

 

   Et?...

 

   Et j'ai aidé Célestine à enfiler ses socquettes blanches en coton, l'ai sanglée dans ma Fiat Brava que j'avais pris la peine d'avancer jusque devant chez elle, et hop's, en route pour Sélestat! 

 

   Nous voici plantées face à une enfilade de palettes promotionnelles entreposées dans l'allée centrale du supermarché Leclerc, celui-là même où je me rendais 3 à 4 fois par mois pour y faire mes courses.

   Il n'y avait là que du mobilier et des jeux de plein air, mais rien qui ressemblait de près ou de loin, aux fameuses tables gigognes tant convoitées par Célestine, accrochée toute silencieuse et un brin dépitée, à mon bras.

 

   Elle avait ressorti son prospectus, un doute l'ayant envahie quant à la date. Non, c'était bien aujourd'hui, la date buttoir. Je lui pris le papier des mains  et allais au devant d'un  des chefs que je connaissais de vue et qui distillait ses consignes aux deux personnes qui agençaient les palettes.

  

   Ouf, sauvées par le gong: il lui restait deux lots de ces tables gigognes, mais avait déjà ordonné qu'on les réintègre dans le stock. L'article n'ayant pas rencontré le succès escompté, les cartons ont été gerbés en hauteur depuis hier soir. Il a fallu que je l'assure qu'on était venues pour en acheter pour sûr un lot pour qu'il daigne aller nous rechercher lui-même l'article tant convoité par ma Célestine.

   Je ne suis pas retournée quêter son avis -nous étions venues exprès pour ça-, j'ai donc pris sur moi. A la limite je les aurais même achetées pour les refiler à quelqu'un si Célestine avait osé hésiter au dernier moment!

    Ca a tout de même duré un petit moment et, en attendant le précieux chargement, nous restâmes sur place, tel un tandem improbable, à ruminer chacune dans notre for intérieur. J'avoue qu'une certaine tension était palpable.

   Qu'elle était donc loin, ma séance médiumnique!... Entre temps, j'avais dû revêtir dare-dare, la panoplie d'une aide de l'ABRAPA, na ja... (éh ben...)

 

   Ca y est, le chef de magasin était revenu et donna illico les références en caisse, car son tire-palette ne  pouvait pas s'engager dans le couloir trop étroit pour passer devant la caissière. Il eut la gentillesse de nous accompagner jusqu'à la voiture où toute son ingéniosité et son savoir-faire étaient nécessaires pour nous aider à caser la précieuse acquisition de Célestine.

   Après cette épopée, le silence régna à nouveau entre nous et pesa dans l'habitacle, surtout après que Célestine eut le toupet de risquer une nouvelle question, aussi peu voilée que sa première requête:

 

   -"Je dois avoir un tournevis quelque part dans ma maison...".

 

   Je me suis empressée de lui rétorquer qu'en principe des clés spécifiques et adaptées aux vis devraient se trouver dans le colis. Que je n'y connaissais rien, absolument rien, au montage de meubles, aussi petits fussent-ils.

   Pour un peu, elle abuserait, Célestine...

 

   Elle bredouilla qu'elle avait sous la main un certain Marcel, un voisin qui a été menuisier ou charpentier dans une autre vie. Elle va l'appeler à la rescousse dès ce soir. Ces tables, c'était plus qu'une urgence, c'est clair. On aurait presque pu rajouter qu'elles lui étaient devenues carrément vitales!

 

   Sur les ordres de Célestine, je dû déposer l'une des boîtes dans le couloir et les deux autres tout au fond de la cuisine; et nous reprîmes place dans la salle à manger.

 

   A ce stade, il était 17 heures largement dépassées.

 

   Célestine me demanda de lui passer une petite corbeille de sous la télé. Elle contenait pêle-mèle des bobines de fil, un oeuf en bois pour repriser les chaussettes et au moins deux jeux de cartes différents à en juger par les couleurs et les dessins sur leurs dos.

   Elle trifouilla parmi ce mic-mac et en extirpa quelques cartes qu'elle aligna devant elle. Elle me dit qu'elle y "voyait" un homme avec des épaulettes dorées et portant un uniforme. A ses côtés marchait une fille. A moins que ce ne soit un garçon aux cheveux longs.

   Ca ne pouvait être que l'un ou l'autre.

 

   -"A mànn mét'm a kénd; a bédüachdr' mànn...".  (un homme avec un enfant, un homme aisé, financièrement parlant).

   L'enfant était un enfant choyé, aimé et très protégé.

 

   A un certain âge -voire à un âge certain-, on peut -logiquement-, tomber sur un homme de seconde main qui a déjà eu un ou plusieurs enfants de sa vie d'avant. Jusque là, pas de scoop renversant émanant de ma brave Célestine.

   A la suite de ce tout début de révélations, un méga-orage éclata. Le ciel était devenu soudain tout noir et grondant. Des trombes d'eau s'en échappaient au point de flouter l'éclat des éclairs.

 

   J'appris de la bouche de Célestine qu'un ciel trop nuageux et, pire encore, s'il y a un orage, donc un ciel aussi chargé et qui nous éclaboussait de tellement d'eau et de lumière, s'avérait néfaste au point de contrarier gravement sa vision et donc sa lecture de l'au-delà.

 

   Ma foi, si nous n'avions pas été à Sélestat pour ces satanées tables gigogne, l'orage n'aurait pas eut le temps de nous rattraper! Ca c'était clair aussi!...

 

   Il n'y avait rien à faire, juste à attendre patiemment la fin des hostilités célestes. S'il y a une preuve qui a été faite aujourd'hui, c'est celle de ma patience élevée à la puissance 3 mille, au minimum! Par fierté, je n'en rajouterais pas, quant à mon extrême naïveté, nooon..., non.


   Lorsque les éclairs donnaient un peu le change et faisaient mine de s'atténuer un peu, Célestine, en brave professionnelle, s'évertuait à vouloir refaire parler ses cartes. Mais rien à faire, pas même une petite vision brouillée, rien de rien. Que dalle! De plus, l'orage tournait en rond et me paraissait durer une éternité, pour toujours revenir et décharger ses foudres au-dessus du village, maudit en cette après-midi. 

   L'âge, et surtout les émotions liées à la chasse aux tables gigognes, ont dû littéralement épuiser Célestine, car elle s'endormît, droite comme un "i" sur sa chaise!

Au bout d'un moment, je décidai (il était temps!) de la tirer de son sommeil (et non pas de ses transes, oh que non!) et de prendre congé.

 

   La pluie avait cessé, mais l'orage ne s'était pas tu complètement pour autant. Elle me pria de me rasseoir car elle souhaitait encore faire une ultime tentative, mais avec une boule de cristal ce coup-ci. Elle éteignit le plafonnier, posa la boule dans la paume de sa main droite et l'orienta vers le petit filet de lumière émanant de la fenêtre quasi close.

 

   Visiblement, ce système n'était pas davantage "parlant" que les cartes. Lorsque la main de Célestine ploya doucement vers la table  et que sa tête suivait dangereusement la même inclinaison, j'entrepris de toussoter afin de lui faire rouvrir les paupières. Je craignais surtout qu'elle ne tombe de sa chaise, oui.

   Bon, j'ai fini par régler les quelques 30 ou 40 euros que coûtait une consultation chez elle à cette époque, sans défalquer le prix de l'essence pour la course à Sélestat, comme elle me proposait gentiment de le faire, et je pris congé. Elle continuait de me marteler la fameuse rencontre avec le "bédüachdr' Schand-ànrm" (schand-ànrm....: honteusement pauvre?.....mais le même mot désigne aussi le gendarme). Déçue et surtout dépité, je ne l'écoutais même plus. La brave Célestine pensait sans doute m'être agréable en me servant ce cliché, un classique d'un autre temps; un temps où les femmes étaient sensées tomber en pamoison dès qu'un homme en uniforme se pointait à l'horizon. Ahhh la laaaa....

 

   Il n'était pas loin de 20 heures et je me sentis comme soulagée, libérée. Et dès que  je me suis assise derrière le volant de mon carrosse, un terrible fou rire me submergea. Et j'ai ri pratiquement durant tout le trajet pour rentrer chez moi.

 

   Toutefois, ce rire n'était rien comparé à celui qui gagna et secoua  mes deux collègues lorsque je leur ai narré ma mésaventure. Elles s'attendaient à un super scoop, voire à un truc à la limite du gravissime, quelque chose de vraiment hors du commun. A tout, sauf à ça. Et sûrement pas aux socquettes blanches ni aux tables gigogne, en tout cas. Elles ont mis un certain temps avant de la gober, mon histoire, d'y croire. Et pourtant...

 

   Je n'ai jamais réitéré ce style d'expérience depuis. Je confesse qu'il m'arrive d'écouter  l'horoscope de mon signe astrologique le matin tout en ingurgitant mes tartines. Et ...de l'oublier aussitôt!

 

   Du coup, il faudrait aller vérifier sur Google si, le jour où les Mayas nous ont prédit la fin du monde pour la fin de l'an 2012, le ciel n'avait pas aussi viré à l'orage comme lors de ma quête de connaissance de mon avenir. Car ce qui valait pour Célestine et le brouillage de ses visions, devrait également l'être pour eux, j'imagine.

 

   Sooo voilà, dèsss ésch àllès gsénn, liawi litt....! (Voilà, voilà,  braves gens, le fin mot de l'histoire!)

 

(Août  2012)

 

 

 

 

 

 

 



17/08/2012
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