et les beatles chantaient

" I d'r saaachtziger'"

.... les années 60 étaient encore balbutiantes et les BEATLES s'apprêtaient à ébranler le monde avec leur musique unique, affublés de costumes encore politiquement corrects, mais arborants déjà de bien étranges coiffures; pour des garçons. Ils les auraient adoptées au sortir de la piscine, dira la légende. Admettons. Quoi que, leurs cheveux restaient déjà un brin trop longs, même une fois secs.

 

Toutefois, à cette époque où les radios -des espèces de gros casiers en bois-, qui trônaient dans les maisons alsaciennes, déversaient davantage de "Schlager" (chansons populaires allemandes) que les niaiseries, jeux et autres joutes orales un peu irritantes et pas très distrayantes, proposées par les rares stations radiophoniques françaises. Très contrôlées, elles se comptaient alors sur les doigts d'une seule main! Ce n'est que bien plus tard, avec l'avènement des yéyés (les Clo-Clo, Sheila, Sylvie Vartan, Richard Anthony, Johnny Hallyday, Sacha Distel,... et Herbert Léonard!) que nous collions notre oreille au poste pour écouter avec ferveur et délice, le classement quotidien du hit-parade de la mythique émission "SALUT les COPAINS" sur Europe N°1.

 

   Les téléphones (fixes, que fixes et à fil, s'il vous plaît!) n'étaient pas légion et seuls les PTT (Poste et Télécommunications), certains commerçants, restaurateurs et artisans devaient en être équipés. Ils étaient dotés de deux chiffres et ça suffisait alors amplement. On est bien loin des dix chiffres actuels! Cela n'effleurait pas le commun des mortels  de s'y abonner. D'abord c'était du luxe, cher et  pour en faire quoi? Pour téléphoner à qui?.... Car pour se raconter sa vie, déblatérer sur la marche du monde, ma foi, les gens se déplaçaient et se parlaient de vive voix. On se rendait chez les uns et les autres, sans prévenir. Les portes étaient ouvertes, les coeurs aussi. Et le temps? ben on se le prenait; on avait toujours un moment pour échanger quelques mots, quelques nouvelles. C'était tout simple, sans chichis.

 

   Nous nous rendions également seuls à l'école, à pied ou en vélo et ce, à partir de la Maternelle. Nos parents nous avaient briefés, nous ne devions sous aucun prétexte  parler avec des inconnus, pas même pour leur indiquer une rue, un commerce; ne jamais accepter de bonbons non plus, etc.... Non, les seules peurs qui nous faisaient faire des détours, c'était pour éviter d'avoir à passer devant des maisons gardées par de grands chiens. Je me rappelle essentiellement de Johnny et de Karim (où était-ce Carine? ... car deux mannalas (mâles) qui se seraient partagé le même territoire, gardant la même cour, je ne sais pas, mais j'imagine aisément que cela eut pu être rock-en-roll assez souvent. Parce que les deux gros chiens noirs, espèces de gros nounours plutôt placides -(avec le recul, ils finissent par être nettement moins effrayants, c'est clair!)- mais tellement imposants! Ils gardaient l'entrée de la ferronnerie de la rue des Hiboux (s'Illa Gassl', rebaptisée rue de l'Ill depuis; un subtil jeu de mots puisque "Ill" signifie hibou, en patois alsacien; tiens, tiens,....).

 

   Il ne passait pas souvent de voitures à Hélsa. On prenait l'autobus pour se rendre jusqu'à Sélestat, la ville la plus proche. Là-bas, on trouvait le dentiste, du travail pour certains et bien sûr, le fameux marché les mardis matins. Un marché superbe, varié, parfumé et qui s'étend pratiquement dans tout le centre ville. On n'en revient jamais bredouille et, aujourd'hui encore,  il draine les foules.

   Les attelages agricoles et quelques vélos représentaient l'essentiel du trafic dans les rues du village. Le S... Franz (François) mettait un boeuf (ou était-ce une vache?...)  à contribution devant sa charrette en bois pour transporter l'herbe fraîchement fauchée, le foin ou des fruits à faire fermenter pour en tirer le schnapps, plus tard, lorsque le moment sera venu.

 

   Dans ce paysage  calme, immuable et quasi-statique, lorsque la luxueuse Berline Talbot couleur verte pâle du  Dr B... remontait une rue, cela se remarquait. Et quand le médecin arrivait, les habitants se sentaient concernés. Certes, il y avait sans doute une petite part de voyeurisme, mais au moins autant de compassion. Lorsqu'il stoppait son imposante voiture, l'information se mettait à circuler et à se répandre de maison en maison. On ne souffrait et on ne mourait pas dans l'indifférence générale.

 

   Toutefois, que cette Berline stationnât tous les jours devant la petite maison trapue et au crépi vert, située rue de Wittisheim (la rue Croisée d'aujourd'hui) dans laquelle habitait H... Madeleine, n'intriguait apparamment plus que nous, les quelques trois, quatre copines d'environ sept ou huit ans, surtout depuis que Marie-Claire nous avait raconté que cette dame était paralysée et ne quittait pour ainsi dire jamais son lit ni sa chambre.  Cela nous semblait tellement insolite que notre curiosité en fût encore davantage aiguisée. Et le fait que le médecin vienne la visiter chaque jour, c'est que Madeleine, forcément, devait avoir une maladie plus que singulière à nos yeux . Il nous arrivait quelques rares fois, en revenant de l'école, de nous enhardir et d'escalader les trois marches qui menaient directement à sa porte d'entrée depuis la rue. Madeleine entr'ouvrait parfois la fenêtre à gauche de cette porte pour s'entretenir quelques instants avec une voisine, perchée sur la dernière  marche. Avant d'oser sonner, nous nous bousculions pour nous hausser sur nos ergots, fixant le rideau blanc pour tenter d'apercevoir une lumière, une silhouette, une main,... L'une ou l'autre fois, qui de nous asait appuyer sur le bouton de la sonnette dans l'espoir que Madeleine relève un coin du rideau et jette un oeil par sa fenêtre? Le tout se faisait dans une telle exitation mêlée de confusion. Hélas, notre hardiesse ne nous autorisait pas à attendre la moindre réaction. La peur d'être  reconnues nous poussait à courir si vite, que quelques secondes étaient suffisantes pour tracer les cent mètres afin jusqu'au croisement!

 

   C'est que, à cette époque, les maisons équipées de sonnettes électriques étaient l'exception. Les chiens dits de garde, des bâtards sans même la trace d'une race,  avaient la charge d'annoncer avec hargne et force aboiements, les visiteurs et les éventuels intrus. Et, d'appuyer brièvement ou de coller un malabar mâchouillé (chewing-gum) sur le bouton de l'une d'entre elles, puis de déguèrpir au plus vite, représentait un jeu très prisé par les jeunes garçons. Mais parfois la couleur d'un pull, d'un bonnet ou d'un vélo, trahissait l'auteur et les représailles parentales pouvaient alors lui chauffer gravement les oreilles ou l'arrière-train! Car hélas là aussi, les informations circulaient rapidement et sans téléphone!

 

   J'avais 19 ans lorsque Madeleine est décédée et je ne l'ai jamais vue ni même aperçue. Elle n'avait jamais quitté sa chambre que je sache, et la fenêtre qu'il lui arrivait d'entrouvrir, représentait son seul lien avec le monde, son seul apport d'air, d'un peu de lumière de dehors... Etait-elle abonnée à un journal, possédait-elle une radio?... je n'en sais rien. Cette maison que j'ai toujours connue inanimée, sans occupants identifiables, n'existe plus de nos jours. Toutefois, le mystère qu'elle a abrité continue de m'intriguer; parfois....

 

   D'aucuns insinuaient que c'est un amour contrarié qui lui aurait ôté l'usage de ses jambes, à Madeleine, qui l'aurait poussée à vivre en recluse. Qui sait.....

 

(Octobre 2011)

 

 

 



06/11/2011
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