et les beatles chantaient

IL S'APPELAIT FERNANDE

 

 

   Il arrive que l'on repousse, que l'on attende longtemps, longtemps, ... très longtemps avant de s'attaquer à la délicate et remuante tâche qui consiste à trier parmi les objets et les souvenirs qui souvent,  hantent nos greniers.


   Et Martine ne faisait pas exception à cette règle. En fait, elle aura attendu d'arriver à l'âge de la retraite, d'être revenue habiter et réinvestir la maison de son enfance, pour s'y atteler. Devant la bonne couche de poussière et à peine quelques toiles d'araignées tout en haut, nichées sous les faîtières, elle poussa un soupir, cala les mains sur ses hanches, déja nettement moins enthousiaste devant le fourbis hétéroclite qui s'était accumulé là-haut au fil du temps. Chacun des occupants de la maison y aura sans doute déposé, qui un objet, qui un meuble, entreposé des livres, des cahiers d'écoliers...., (même des bonbonnes de schnaps!), pensant qu'ils pourraient peut-être reprendre du service un jour, voire au moins intriguer quelqu'un....

 

   En soulevant le pan de la housse protectrice de ce qui fut jadis une housse d'édredon à carreaux marine et blanc, en kelsch, elle découvrit ses deux landaus. Celui de deux tons de vert, olive et amande, dans lequel elle avait effectué ses toutes premières sorties lorsqu'elle était bébé. On lui serinait qu'il s'agissait alors d'un landau des plus modernes et tendance au milieu des années 50 où nombre de baby-boomers paradaient encore dans le monde, enfin, dans les rues du village pour être plus précise, à bord de ces profondes "berlines" (des kéndrkütschas) marron. La brave Caroline avait même récupéré et détourné l'un de ces landaus marron et s'en était servi comme charrette durant toute sa carrière de porteuse de journaux, (uniquement  "L'ami du Peuple", pour ne point le nommer!).

 

   Quant à son landau-jouet (a kitschl') à elle, celui que Marthe, sa marraine, lui avait offert lorsqu'elle devait être âgée de 6 ou 7 ans, c'était un article de contrebande! En effet, comme elle était fière, Marthe, de l'avoir passé au nez et à la barbe des douaniers de Marckolsheim! Exercice ô combien risqué à une époque où l'on ne traversait pas les frontières comme maintenant. Que nenni! Passe encore pour la couleur rose pâle qui m'évoquait le "arbr-müass" (cette délicieuse compote de fraises mélangée à de la crème fraîche épaisse!), mais sa forme de baignoire, basse sur des toutes petites roues, ne collait plus du tout aux stadards de la mode du début des années 60. Carine, sa meilleure amie, arborait, elle, un landau version française, bleu, on ne peut plus tendance et donc hyper moderne. Il était composé d'une élégante nacelle juchée sur de grandes roues aux rayons brillants, l'exacte réplique miniaturisée des landaus pour les vrais bébés. Martine se sentait souvent morose et désapointée de devoir promener son poupon dans un landau qui ne différait que de par sa couleur plus douce, de la charrette  de la brave Caroline.

   Martine esquissa un sourire attendri en apercevant son baigneur (le schàngl') quelque peu décati et sagement endormi depuis toutes ces décennies. Avec délicatesse elle ôta la petite couverture qui le recouvrait. Il était vêtu d'une jolie barboteuse en laine, jacquard mais toute mitée; il portait toujours les petits chaussons couleur jaune et rouge qu'elle lui avait tricotés elle-même...

 

   Lorsqu'elle le souleva, patatrac, les bras et la tête se désolidarisèrent de son petit corps en celluloïd rigide! Délicatement, Martine s'empara de la tête de celui qu'elle baptisait tantôt Pascal, Frédérique, Gisèle ou Anne-Catherine.... C'est alors que lui revint en mémoire ce que Carine prétendait à l'époque. Elle affirmait que toutes les poupées sortaient des usines dotées d'un prénom d'inscrit sous leur cou. Mais Martine n'avait jamais osé forcer et tirer suffisamment fort sur la tête de son "bébé" adoré pour aller y voir. Pour sûr, la peur de se faire gronder si elle cassait son jouet devait être par trop présente.

 

 

   Mon dieu.... Mais c'est qu'elle disait vrai, Carine...

 

 

   Sauf que le fabricant du baigneur préféré de Martine n'avait sans doute pas mesuré l'impact que pouvaient produire ces baptêmes à la chaîne sur les mini mamans de schàngl. Le baigneur qu'elle venait de retrouver, avait été affublé du prénom de ..... "Fernande"!  Ouille.

 

   Martine parvint tout de même à poser un regard attendri sur ce puzzle de poupon. Mais qu'en aurait-il été, il y a plus d'un demi-siècle en arrière, si elle avait fait cette même découverte.....? 

 

 

Micheline Goliwas

Juin 2022

 



25/06/2022
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