A Kéndheid... (Une Enfance...)
Lorsque, assise sur mon blatzl (petite place) à l'arrière de ma maison, placette que j'ai récemment faite aménager en petit havre de paix, j'aperçois encore la fenêtre vitrée genre industrielle de l'ancien atelier de tissage d'Eugénie et de Nèstl (Ernest) d'où s'échappait l'incessant cliquetis des métiers à tisser.
Et puis, lorsque j'étais très enfant -état qui remonte aux années 50/60-, et jusque vers l'an 2000, la cigogne qui est l'un des emblèmes de l'Alsace, était davantage un mythe, une distributrice de bébés, voire la seule et unique responsable des naissances. Et..., un oiseau de drôle d'augure. Il suffisait par exemple de déposer un morceau de sucre (d'Erstein, sowieso!) sur le rebord de la fenêtre et hop's, elle vous livrait un bébé à domicile! Voilà, c'était aussi simple et facile que ça.
Mais attention, les filles et femmes qui ne portaient de ce temps-là que des jupes ou des robes, devaient se méfier, car si une cigogne parvenait à leur pincer le mollet avec son long bec, elles couraient le risque de tomber enceintes. Si...., si!
Bref, avec le recul, on peut affirmer qu'elles incorporaient et assumaient à elles seules, l'éducation sexuelle dispensée à l'époque. Comprenne qui voudra, n'est-ce pas?...!
Les premières vraies cigognes, hors parcs de rétention et de reproduction plus ou moins forcée, je les ai aperçues en nombre et en liberté absolue, durant les vacances passées en Pologne. Là-bas il y avait toujours le même couple, m'assurait l'oncle Marian, qui revenait à chaque fin d'hiver, squatter le nid qu'elles avaient confectionné sur le toit de la haute grange de sa ferme. Selon la quantité de morceaux de coquilles d'oeufs qu'il retrouvait brisées au sol, l'oncle savait si l'été sera chaud ou pluvieux. Une saison suffisamment humide étant le signe que les grenouilles proliféreraient dans les rigoles d'irrigation entourant les champs et les prés pour nourrir jusqu'à 3 ou 4 cigogneaux. Mais en période de disette à venir, il leur arrivait de ne garder et de ne couver alors qu'un seul oeuf. Les animaux doivent avoir leur chaîne ou station-météo dédiée et autrement plus fiable et performante que les nôtres. Je dis ça, je dis rien...
Et l'oncle Marian de nous chambrer gentiment mais en faisant la moue tout de même, s'adressant à nous, les mangeurs d'escargots et de cuisses de grenouilles.
- "Voilà le résultat! Si vous les français ne mangiez pas tous des grenouilles, pour sûr qu'elles ne viendraient pas toutes chez nous, en Pologne, pour y passer l'été, les cigognes!".
A l'heure d'aujourd'hui, et depuis presque deux décennies, chaque village du Centr'Alsace et sans doute au-delà également, (désolée, mais depuis ma maladie je ne déborde plus tellement au-delà de ma zone de confort, à savoir, un rayon d'environ 20kms à la ronde, éh oui....), a ses fidèles couples de cigognes qui reviennent vers la fin février, ré-occuper et rafraîchir leurs nids pour y perpétuer la race. Rien qu'à Hilsenheim il y en avait trois. Et j'en ai récemment aperçu un quatrième en construction.
Le croisement pourtant bruyant et très fréquenté de l'ex-poste ne les a pas effrayées plus que ça. Elles avaient même entrepris de construire leur nid sur la sirène de l'ancien local des pompiers! Mal leur a pris, au bout de deux saisons, la municipalité a fait ôter cette résidence devenue instable et lourde (un nid de cigognes pèse entre 300 et 4 ou 500 kilos, toute de même!). Le couple persistait à venir se poser et à tenter de reconstruire un nouveau nid malgré le cône métallique qui coiffe à présent la-dite sirène. Or il s'avéra encore plus désaxé et instable que le précédent. Enlevé à nouveau. On ne peut que leur souhaiter d'avoir retrouvé à temps, un endroit plus accueillant afin d'y séjourner et faire ce que leur instinct leur dicte de faire durant cette période 2019, qui les a rendues SDF, les pôôôvres....
Mars 29/2019.
Cela peut sembler insolite de nos jours, mais il n'était pas rare que les gens passent toute leur vie dans un même lieu sans jamais avoir à le quitter, pas même pour gagner sa vie. Car le travail existait sur place ou venait à eux. Avec quelques aménagements, on pouvait travailler chez soi, tisser, fabriquer, tailler ou coudre des vêtements pour les particuliers ou les usines alentour. Certes, les besoins n'étaient pas les mêmes. Un sac d'école vous durait plusieurs années, Emile et Jean étaient là pour en recoudre un coin ou un soufflet, changer une poignée ou une lanière par trop usée. Que du tout en cuir, ah ouais, quand même! Pareil pour les canapés qui n'étaient pas utilisés au quotidien mais qui, lorsqu'ils venaient à ternir, à s'affaisser ou à s'user, étaient ramenés chez l'oncle Virgile qui se chargeaient de les raviver pour leur redonner une seconde, voire une troisième vie.
Il y avait également quelques marginaux qui ne s'inscrivaient pas dans ce processus. Il leur arrivait de filer un coup de main pour les fenaisons, le tabac, le ramassage des pommes de terre... Ils avaient un domicile, minimaliste sans doute, et des maisons où ils pouvait aller se réchauffer un moment auprès d'un fourneau en hiver, en rapporter parfois de quoi boire et manger.
Pour ainsi dire, chaque rue de village était dotée d'un commerce. On avait la Coopé, bien sûr, mais également son épicerie, sa boucherie-charcuterie, sa boulangerie-pâtisserie -auprès de laquelle on allait pour commander un biscuit à trois oeufs avec glaçure pour le dessert du dimanche-, une quincaillerie, un bureau de tabac-papeterie, des menuiseries, des peintres en bâtiment, le bureau de Poste dans le schlèssl (petit château), rue de Wittisheim, le magasin de matériaux de construction, les fournisseurs de bois et de charbon,.... Et....le salon de coiffure de Jeannine! Aaah..., chez Jeannine où j'allais renifler et me délecter des odeurs de laque et d'ammoniaque, l'aider à trier et ranger les bigoudis, les piques dans les boîtes de son joli chariot à roulettes. Mais le graal absolu, c'était lorsqu'elle m'autorisait à emporter chez moi, les romans-photos abîmés ou archi-lus par ses clientes. Il s'agissait de lectures pour les grandes personnes, mon butin avait donc d'autant plus de valeur à mes yeux. Ces histoires d'amour en noir et blanc avec arrêts sur images..., mon ciné à moi. Quel délice et quels moments merveilleux j'ai passés à les feuilleter... J'en rêve encore.
Ma mère m'assurait qu'avant guerre, dix, voire douze restaurants (aujourd'hui on dirait plutôt "bistrots" puisqu'on y servait presque exclusivement qu'à boire), avaient pignon sur rue à Hilsenheim. Alors que le village ne comptait que moitié moins d'habitants qu'à l'heure actuelle.
D'ailleurs la maison alsacienne que mes grands-parents avaient achetée durant la première guerre mondiale et qui trônait à l'emplacement de mon jardin d'agrément, possédait une grande Stubb (pièce à vivre, dirait-on aujourd'hui) qui, enfant, me paraissait immense tellement le buffet de notre salle à manger s'y noyait. J'ai su par la suite, en retrouvant des documents et une photo, que la moitié de la bâtisse avait fait office de bistrot et d'épicerie jusqu'à ce que le-dit restaurant aille s'installer quelques maisons plus loin, au croisement.
Notre épicerie attitrée, celle de Sch... Jeanne, se trouvait quasiment en face de chez nous. Les frigidaires n'existant point encore , on se rendait chez Sch... Jeanne quasiment tous les jours, parfois même plusieurs fois par jour s'il venait à manquer un ingrédient essentiel. Si on venait à manquer de moutarde, par exemple, ma foi j'attrapais un verre vide et une pièce de 50 centimes que, malgré l'interdiction formelle, je faisais sautiller et tinter en secouant le verre depuis le portail jusqu'en haut des quelques marches qui menaient à l'épicerie!
Tous ces lieux d'approvisionnement étaient également des endroits d'échange d'informations, de nouvelles. Tout le monde se connaissait pour ainsi dire et se sentait concernés par ce qui arrivait aux uns et aux autres. Lorsque la sirène hurlait, on montait à l'étage pour voir d'un venait la fumée et aussitôt on enfourchait son vélo. Aujourd'hui ne sont même plus testées une fois par mois. Quant aux sirènes des véhicules de secours, ma foi, on les entend mais la curiosité a disparue et on ne s'en émeut plus vraiment.
Pour avoir son pain quotidien, mieux valait être matinal car après 10 heures, souvent y'en avait plus! Grâce à maman qui mettait un point d'honneur d'être parmi les premières clientes chez le boulanger-pâtissier rue Principale, nous avions droit à des tartines de baguette toute fraîche, souvent à des croissants ou des sülaiwlas et mélich-wècklas (pain à 1 sou, petits pains au lait) avec le bol d'Ovomaltine. Pour le dimanche, on pouvait commander un biscuit de 3 ou 6 oeufs, avec glaçure. Mais le dessert qui reste intact dans notre mémoire familiale et sur nos palais, c'est incontestablement l'indétrônable et plus que savoureux "Saint Honoré" de K. Virgile! Aah... nostalgie lorsque tu nous tient.....
L'ouverture du salon de coiffure de Jeannine fût un évènement magique à mes yeux. J'y accompagnais ma mère lorsqu'elle se faisait faire une permanente et j'avais le droit d'y retourner pour "jouer" à la coiffeuse en aidant à trier et à ranger les bigoudis et les piques dans les boîtes après utilisation et rinçage. J'adorais les odeurs et parfums d'ammoniaque et de laque; pas l'Elnett, non, celle de couleur violette dont Jeannine faisait un usage plus que généreux au point où un brouillard odorant semblait avoir envahi son salon lorsqu'elle avait "terminé" une cliente. Quelques fois j'avais le droit d'emporter chez moi, les romans-photos trop feuilletés ou archi-lus par ses clientes. C'étaient les lectures tendances pour grandes personnes, pour les dames; des histoires d'amour et de princes charmants ré-actualisés, au goût du jour et qui se déroulaient dans des environnements propices à s'y projeter, s'y rêver. Ma plus belle rémunération..., mon ciné d'alors, avec arrêts sur images, en noir et blanc... Un plaisir grandiose.
Reconstruire..., construire..., aménager -l'eau courante entra dans les demeures en 1957, par exemple, l'assainissement beaucoup plus tard-....
Les villages, les rues, les jardins n'étaient plus seulement potagers mais s'agrémentaient, se fleurissaient..... L'environnement tout entier se métamorphosait, se coloriait et s'embellissait. Après la guerre et ses ravages, même l'église avait été démolie lors des combats des 14 et 15 décembre 1944, se relever et remettre debout, animait les gens.
Comme la reconstruction de l'église a été engagée en 1952, je l'ai donc toujours connue telle quelle. Et fréquentée plus qu'assidûment! Puisque durant la semaine pendant toutes mes années d'école primaire, j'allais d'abord assister à la messe de 7H10 avant de me rendre en classe, à l'école des filles.
Plus tard, on appellera ces années fastes, riches en projets, en travail et en espoirs, les 30 glorieuses. Les anciens d'aujourd'hui -dont je suis!-, évoquent parfois avec une certaine nostalgie, ce temps quasi béni mais révolu. Car malgré les invocations et promesses nébuleuses des politiques de tous bords, invoquant dans leurs discours pré-électoraux l'arlésienne baptisée "croissance", sans omettre tout le corollaire qui va avec, mais qui pourrait plutôt se résumer par "es war einmal und kommt nie wieder...". ("il fût une fois, ce qui ne sera plus jamais...).
Des marchands ambulants sillonnaient périodiquement les rues du village, pour améliorer l'offre. Le pfiffala-màn (l'homme au sifflet), le bien-nommé puisqu'il se signalait à chaque arrêt en sifflant tout comme les soeurs à la fin des récréations. Il vendait des fruits et des légumes de saison, parfois du lard ou du jambon sec.
Le Booo, quant à lui, était précédé par le clap-clap ralenti de son ardennais qui tirait la grande carriole hérissée de ferraille difforme et de son inimitable "lonmm'ba...ànld-iiiissa..." (chiffons et vieille ferraille). Nous étions mandatés de deux missions lorsque le Booo écumait le village: lui refourguer les peaux de lapin raidies contre 10 centimes/pièce et être le plus réactif pour nous emparer du seau et de la pelle près du portail et courir après lui si le lourd cheval de trait venait à lâcher le précieux crottin qui était de l'or pour les jardins!
La Scherwillr'r -la bien-surnommée puisqu'elle habitait Scherwiller, dans le tout proche vignoble- était motorisée. Son mari conduisait l'Estafette d'un bleu pétant alors qu'elle allait sonner ou toquer aux portes des gens. Elle avait du style, la Scherwillr'r, tenue impeccable, cheveux courts, noirs et un rouge à lèvres très rouge. La voix assurée, un peu haut perchée et un sourire qui dévoilait quelques canines en or jaune. Comme Sèppl, elle vendait des bleus de travail, des chemises à carreaux pour hommes, des chaussettes,.... Elle proposait en plus, toute la mercerie: fils, jarretelles, agrafes, boutons, des pyjamas, chemises de nuit, des sous-vêtements et surtout, des caleçons longs alors très appréciés (et portés) par les hommes qui travaillaient à l'extérieur; car il faut bien en convenir, les hivers savaient être autrement plus rigoureux qu'actuellement!
La tradition du textile s'est perpétuée dans la famille, puisque aujourd'hui, les descendantes de la Scherwillr'r tiennent boutique à Sélestat...
Complètement inimaginable aujourd'hui, mais dès que l'on accédait à l'école des soeurs, en primaire donc, nous les filles, étions considérées comme grandes. Et suffisamment sérieuses et responsables pour que des mères nous confient les poussettes de leurs bébés à promener à travers le village. Des mères qui ne nous connaissaient souvent pas plus que ça, mais qui avaient fort à faire en cuisine car les repas s'élaboraient au jour le jour, avec les produits du potager, les poules, les lapins et parfois le cochon qu'on élevait en marge du travail salarié du père. Confectionner un repas en plus pour un parent, un voisin malade ou âgé, le mari qui, souvent emportait le kannl (la gamelle à réchauffer; aujourd'hui on appellerait ça un Tupp, sauf que les micro-ondes n'existaient de loin pas encore) sur son lieu de travail, n'était pas chose rare à l'époque. Transformer les fruits et les légumes produits par le jardin, les mettre en conserves pour les consommer durant l'hiver. Faire les confitures, parfois même du boudin, du pâté de tête lorsque le cochon était tué et baratter le trop plein de crème écumée sur le lait que l'on allait chercher directement chez les paysans...
Entretenir le feu de la cuisinière qui, outre les casseroles, accueillait la lessiveuse d'alors, à savoir un grand récipient en zinc dans lequel on faisait bouillir le linge. Et dieu sait que la tâche était ardue et chronophage jusqu'à il n'y a pas si longtemps de ça! Les langes, ancêtres des couches et autres Pampers actuels, pareil pour serviettes hygiéniques jetables, ces "articles" ne se sont réellement popularisés qu'à partir du milieu des années 60.
Si les langes flottaient sur les fils dans les jardins où vivait un bébé, il n'en allait pas de même pour les "kràwàtas" (bandes hygiéniques surnommées "cravates") qui séchaient en toute discrétion à part et à l'intérieur des maisons. Il m'est arrivé d'en apercevoir de ces coussinets en tissu éponge ou en coton, pendouillants sur les barreaux des chaises de cuisine retournées sur la table.
Impensable aujourd'hui, mais, tous ces linges hygiéniques, langes, bandes et mouchoirs, se lavaient aussi à la main et au savon de Marseille après avoir bouilli dans la lessiveuse; les machines à laver le linge se sont démocratisées petit à petit et n'ont vraiment trouvé leur place dans les foyers qu'à partir des années 50, dans ces eaux-là.
En gros, les journées d'une mère et plus est, d'une mère d'enfants en bas âge -même si de ce temps là elle n'avait pas à faire les aller-retours à l'école pour accompagner et rechercher sa progéniture-, étaient plus que chargées, épuisantes. Surtout si elles n'avaient pas de mère ou de belle-mère habitant à proximité pour éventuellement la soulager ou la seconder pour certaines tâches.
Bébé prenait généralement l'air dans son landau entreposé dans la cour ou le jardin, il découvrait la vie à travers un rideau posé sur le soufflet et qui était sensé le protéger des insectes. Ses cris avertissaient la maman s'il y avait un souci ou que l'heure du biberon approchait. Que nous proposions de promener les Michel, Edith, Gilles, Jean-Luc,.... générait un peu mouvement dans ce monde plutôt restreint et statique, rythmé essentiellement par les besoins des petits réclamant soins et nourriture à cors et à cris!
A ce stade, et pour être tout à fait honnête, il me faut préciser que nos services de promeneuses étaient conditionnés non pas par un lien éventuel de parenté, la bouille ou le prénom du bambin. Mais plus son landau était moderne et, à l'époque évoquée, les bleus marine étaient super cotés!, plus ses chances étaient grandes pour qu'on lui fasse découvrir les rues de Hélsa. Eh oui, dès le plus jeune âge, le modèle du véhicule semble déjà avoir son importance....
- "Lorsqu'on fait des enfants, on s'en occupe".
Tel était le mot d'ordre qui avait cours dans l'après-guerre. Mais sans doute pas qu'à cette époque-ci, j'imagine. Des exceptions pouvaient sans doute exister, ponctuellement, lorsque plusieurs générations cohabitaient sous le même toit. Il est fort probable que dans ces conditions, une grand-mère acceptait de garder l'une ou l'autre fois, l'un de ses petits-enfants. Lorsque la maman devait se rendre aux champs pour donner un coup de main lors des fenaisons, du ramassage des pommes de terre, de la cueillette des fruits,.... Donc pas vraiment pour aller s'amuser ou magasiner, on va dire!
N'ayant connu aucun de mes grands-parents, que ce soit ceux d'Alsace ou de Pologne, car ils sont tous décédés soit bien avant la guerre ou pendant, la question de nous garder lorsque nous étions enfants, ne se posait pas.
Aussi, lorsqu'il se donnait un bal ou une pièce de théâtre chez K..., le restaurant du village en face de l'école des garçons, eh bien, nos parents nous emmenaient, on s'y rendait tous!
Toutefois, il est à noter que nous étions, mon frère et moi, parmi les quelques très rares jeunes enfants, présents à ces soirées festives. Avec notre mère, qui n'aimait pas trop danser, nous restions dans la salle du restaurant à siroter des Fanta, orange pour moi, citron pour Laurent. Et il arrivait que nous finissions par nous endormir sur la table ou les bancs en lattes de bois verni qui couraient le long du mur, sous les fenêtres qui donnaient sur la rue.
J'adorais faire des aller-retours, passer du brouhaha du restaurant à la vaste salle où les gens s'agitaient, tournoyaient, se poussaient, dansant au son de l'orchestre qui trônait sur la scène, encadrée de rideaux couleur rouge passé. Cela m'amusait de slalomer parmi les grandes personnes, de passer d'un monde à un autre, intriguée et aux aguets lorsque les flon-flons s'arrêtaient pour faire place à des airs différents qui stoppaient les danseurs. Les couples se défaisaient, certains danseurs et quelques danseuses s'enhardissaient, commençaient à se tortiller, se pencher, faisaient étrangement bouger les genoux, ouvrant et fermant plusieurs fois une jambe puis l'autre. Un attroupement admiratif se formait autour de l'un ou l'autre jeune homme qui parvenait à danser en descendant tellement bas tout en alliant équilibre et une certaine élégance. On était au tout début des années 60 et le twist était né et faisait fureur jusqu'à Hélsa, certains samedis soirs.
Toutefois, ce qui me fascinait par-dessus tout, c'est lorsqu'il s'y jouait une pièce de théâtre chez K... !
A cette époque, les premiers écrans, à savoir les postes de télévision, n'avaient pas encore envahi les foyers comme aujourd'hui. Aussi, lorsque installés sur des chaises, dans l'obscurité, tendus vers les 3 coups du brigadier qui annonceraient le lever de rideau sur ce "cadre" magique et lumineux qui n'allait pas tarder à s'animer et nous entraîner dans le déroulé de l'histoire. Ce préalable me remplissait d'excitation et de joie. Certes, j'étais trop petite et surtout trop jeune pour être en capacité de suivre et de comprendre l'intrigue, mais de voir des acteurs se courser, s'apostropher, susciter des rires,... dans ce cadre restreint, était juste fabuleux.
Les pièces jouées étaient pour la plupart, des pièces en alsacien, par des acteurs locaux, des membres de la chorale, je crois bien.
Toutefois, un seul prénom, (le titre d'une pièce?...) est resté gravé dans ma mémoire: Genovefa. S'agissait-il d'une pièce donnée par une troupe allemande? En tous cas, Genovefa sonnait exotique à mes oreilles et résonne encore aujourd'hui. Des recherches sur Google m'ont appris que Sacha Guitry avait écrit une pièce avec le titre "Geneviève". Une traduction?... un lien?... Je n'en sais rien, il ne m'en reste que l'empreinte laissée par ce prénom à évoquer ici.
Et puis, le 1er novembre 1970, se produisit ce drame atroce à la discothèque, le "5-7" à Saint Laurent du Var. Un incendie fulgurant qui fit 146 victimes prises au piège d'une fournaise, faute d'issues de sorties opérationnelles. Des jeunes âgés de 14 à 27 ans, venus là pour s'amuser et prendre du bon temps, furent asphyxiés ou brûlés vifs. Décorée et insonorisée avec des matériaux tendance pour l'époque, mais rapidement inflammables et surtout hautement toxiques. Mais le pire s'avéra être cette porte de sortie qui ne s'ouvrait pas vers l'extérieur. La peur panique était telle, que tous les jeunes s'y précipitèrent et se pressèrent vers cette sortie, rendant toute manoeuvre pour l'ouvrir, impossible. En se précipitant et en poussant tous dans la même direction, ouvrir cette porte pour fuir l'incendie s'avéra impossible. L'impuissance et l'horreur conjuguées .....
S'en suivirent le vote de lois drastiques et contraignantes relatives à la sécurité pour les lieux accueillant du public. Un grand nombre de propriétaires d'établissements et de salles de spectacle souvent fort modestes, ne purent ou ne voulurent engager de lourdes dépenses pour des travaux de mise aux nouvelles normes et ont dû fermer dans le sillage de ce drame.
A Hilsenheim aussi, il finit par ne plus rien se passer de local ni surtout d'extra ordinaire... Chez s'K...r's il reste jusqu'à ce jour, l'activité bristro, des repas de classes, des repas de grands anniversaires, parfois un apéritif ou un banquet de mariage et les pots de retrouvailles après les enterrements. Et pour ce qu'il en était du divertissement proprement dit et ouvert à tous, ne subsistèrent (un temps) que les kilbes sous chapiteau durant la belle saison pour attirer du monde et voir notre village, et alternativement ceux alentour, s'animer .
Les hivers devinrent bien longs du coup, tristes et creux. Froids aussi, car jusque dans les années 80, abondantes chutes de neige, températures plus que basses et qui restaient négatives même durant la journée, étaient notre lot quasi quotidien en ces temps-là...
Comme on guettait alors les signes avant coureurs et les prémisses du printemps: perce-neige qui dardaient de ci de là, puis les maertza bliamlas (jacinthes des bois), les katzlas et les wérschdlas (noisettiers en fleurs) lors de balades dans la forêt proche, ....avec un soulagement certain.
Mais plus de cigognes, juste encore dans les histoires que l'on racontait aux enfants curieux, comme quoi c'étaient elles qui venaient apporter les bébés si on leur déposait un morceau de sucre sur le rebord de la fenêtre... Bref, les enfants continuaient d'arriver, malgré qu'elles aient longtemps boudé notre région. Un mystère comparable à celui du Père Noël?.... qui sait.... Un plan de repeuplement, long de plusieurs décennies, fut nécessaire et appliqué afin qu'elles daignent revenir nicher naturellement dans nos contrées et refaire partie de nos paysages depuis. Il y a parfois des initiatives heureuses comme celle-ci; et qui fonctionnent! Bravo.
Le passage à l'heure d'été ne fût réactualisé que vers la fin des années 70, suite au premier choc pétrolier sous Giscard.
Avril 08/2020
Posséder une voiture devint un rêve réalisable et se démocratisa. Et, un beau jour, une Panhard rondouillarde bicolore, gris et bleu, intégra notre schopf (grange) et amenait chaque dimanche matin, mon père et les deux Eugénie du voisinage, à la grand-messe du village. Maman, dévolue aux fourneaux, avait déjà rempli son devoir religieux en assistant à la petite messe du matin, destinée à ces femmes aux devoirs multiples et qui transformaient les poulets ou les lapins élevés par elles, en des mets aux effluves et aux goût incomparables mais qui exigeaient de longues heures de labeur en cuisine, car bien souvent une tarte maison ou un biscuit-boda garnis de fruits de saison, étaient confectionnés dans la foulée!
Et puis ce furent les postes de télévision qui gagnèrent du terrain pour devenir la pièce maîtresse dans plus en plus d'habitations. Et, en dépit de chaînes minimalistes et des programmes exclusivement en noir et blanc, lorgner sur l'écran fascina incroyablement. Des émissions comme "Intervilles", la "Piste aux étoiles", "Rintintin", "Zorro" (mon héros!), "au théâtre ce soir",.... et j'en passe, devinrent culte. Sans parler de "Sissi" dont les trois films étaient diffusés aux alentours de chaque noël durant des années et aujourd'hui encore sur la TNT, soit sur la chaîne française ou l'allemande, et qui suscitait immanquablement les mêmes émotions. Emotions partagées avec la famille ou les voisins pour lesquels on rajoutait des chaises. Le tout début du home cinéma....
Juillet 28/2020
Parvenue presque au bout de cette évocation, je rajouterais que je ne l'ai pas faite pour glorifier ni faire l'apologie de ce que d'aucuns appelleront toujours, et peu importe leur ancienneté en ce bas monde, "le bon vieux temps". Pour sûr, tout ne fût pas non plus rose à cette époque de laquelle j'ai sélectionné et extirpé quelques souvenirs ou personnes avec certes un zeste de nostalgie, de cafard peut-être aussi, en tout cas des petites touches qui m'ont indéniablement marquée ou laissé une trace au fin fond de ma mémoire.
Car chaque époque a et aura son charme spécifique. Ce charme si particulier, lié et relié à l'enfance, à l'innocence et à l'insouciance,.... aux rêves échafaudés seuls ou entre camarades; des rêves qui ne butent pas encore contre la réalité. Qui ne sont pas encore destinés à s'y confronter. Des rêves parfois aussitôt déconstruits ou évincés par d'autres aspirations plus immédiates, mais forcément exaltantes...
Très (trop?...) vite viendra l'âge mûr (attention, je n'ai pas dit "blette"!) où tomber au hasard de rangement ou de recherche de quelques chose, on tombe sur des photos, un petit-enfant ou neveu nous rappellent qui nous étions à leur âge. Et voilà faisant un bond dans nos souvenirs d'autrefois, nous revoyant nous à leur jeune âge. Soyons touchés, émus et tout ce que vous voudrez, mais grands dieux, gardons-nous de comparer et de faire l'apologie de notre si belle enfance sans smartphone et autres gadgets qui les relient aux copains virtuellement mais pas accrochés aux branches des arbres de la forêt! Sans doute ne sommes-nous pas nés avec toute cette technologie dont nous aurions du mal à nous passer. Eux, les enfants du siècle actuel, sont nés avec leur frimousse des premières heures de leur vie, affichée sur Facebook et faisant le tour des autres, le tour du monde en quelques clics.
Novembre 25/2020
Soyons un tantinet honnêtes, certes, beaucoup de choses étaient différentes, voire absentes dans le monde de notre enfance d'alors; mais tout n'était pas toujours si rose et si top que ça. Et si on fait un tri sommaire entre les plus et les moins, on s'en fera quelques-unes, des frayeurs. Je ne citerai que les hivers qui étaient certes joliment enneigés, froids, que dis-je, glaciaux, si,si...! et... pour subir actuellement une panne de chauffage, je me permettrais de rajouter que les maisons n'étaient pas aussi douillettement chauffées que maintenant, oh que non ...! Et on n'avait pas les habits en matières souples et ô combien efficaces et performantes pour nous protéger et isoler nos petits corps de la froidure. Me rappeler les certes jolies snow-bottes en caoutchouc blanc mais aux semelles dépourvues de dessins, il m'a fallu développer de sacrées qualités d'équilibriste chaque matin de neige pour patiner jusqu'à l'école des filles. Et je ne vous reparlerai pas des douloureuses wéndr-bila (engelures!) lorsqu'une fois rendue à la maison je quittais ces bottines pour approcher mes pieds gelés du four ouvert de la cuisinière qui carburait au bois et au charbon. Ah la laaa, comme mes orteils piquaient et me démangeaient horriblement...!
Et ça, ce n'est qu'un détail cuisant parmi tant d'autres. Pour sûr que chacun pourrait piocher et se remémorer ses propres points faibles ou hantises dans le tiroir où sont rangés les souvenirs bons vieux temps respectifs. Hop's, je ne m'étendrais donc pas davantage sur ce sujet délicat. Peut-être juste encore un point sans doute propre aux "trente glorieuses" qui ont permis à nombre de gens d'entreprendre les études dans le domaine qu'ils affectionnaient et y trouver un débouché à la fin de leur cursus sans avoir à se soucier si leur audace sera payante un jour. Depuis quelques décennies déjà, de nouveaux métiers naissent, d'autres disparaissent, c'est quasiment acquis que l'on ne fait plus toute sa carrière dans la même entreprise, ni le même domaine. Tout change et passe très vite, devient obsolète et il n'y a qu'à voir dans le domaine de l'informatique où les premiers ordinateurs nécessitaient un étage entier et climatisé pour y entreposer tout ce qui affairait à son fonctionnement. Aujourd'hui toutes ces fonctions tiennent dans nos téléphones portables.... Rt on trouve ça tout à fait normal. Dingue, non?
Il reste à souhaiter que le monde technologique et consumériste vers lequel nous allons, laissera toujours une place à l'humain et aux humains. Un monde qui parfois s'emballe et va un peu vite, trop vite?..., pour la personne d'âge mûr qui a tenté de retracer ici le fil de souvenirs anciens, à la lumière de sa modeste expérience sur ce bout de terre alsacienne. Que 2020, cette drôle d'année jumelle, nous a démontré que l'on pouvait encore appuyer sur le bouton "Stop", que nous avions le nez dans le guidon mais que les virus, même invisibles, font aussi partie des "êtres" qui peuplent notre terre à tous.
Cette terre, cette Nature tellement belle mais qu'il nous faudra tous quitter un jour. Je dis un jour, car c'est souvent à l'aube d'un nouveau jour que l'on est invité à quitter la représentation avant la fin du film. Partir alors que nous aurions eu encore tellement de choses à dire, tellement de choses à faire.... Soyons-en conscients et savourons chaque instant qu'il nous est donné de vivre, de savourer ici bas; et ce, même durant cette expérience inédite qu'est le confinement.
Oui, je sais, parfois il est plus que difficile de faire confiance. Parvenus à un certain âge et imbus de notre soi-disant longue et souvent pseudo-expérience de la vie, nous nous sentons légitimes pour critiquer les rêves, les idées et les actions des générations montantes, les balayant d'emblée avec nos réflexions désabusées. Il n'empêche et qu'on le veuille ou non, Dame Terre continuera toujours de tourner, même sans nous, à cela nous ne pourrons rien y changer! Et ce sera aux suivants, à ces actuels jeunes, de négocier les tournants qui nous guettent : l'après pétrole, cet or noir qui a mis des millénaires à se former et dont nous étions tous complices pour le piller et à le consommer à outrance et sans nous poser plus de questions que ça; la post-industrialisation; sans oublier l'indispensable Eau (que nous ne savons, hélas, pas fabriquer...) et qui tôt ou tard deviendra encore bien plus précieuse que le pétrole. Cette eau potable dont la quantité disponible n'a pas augmenté d'une seule goutte depuis la création du monde, cette eau qu'il faudra partager avec de plus en plus de gens puisque nous gagnons en longévité, alors s'il vous plaît, ne la gaspillez pas...!
"Elle est pas belle, la Vie?", dirait quelqu'un qui m'est devenu très cher.
Micheline Goliwas
(Novembre 28/2020)