LES VACANCES DE TANTE THERESE
Je vais vous parler d'un temps où, lorsqu'on avait envie ou besoin de parler où de voir un proche, ben on se bougeait et on y allait. Parvenu devant la maison ou dans la cour -rarissimes étaient alors les sonnettes et ne parlons même pas des téléphones, les grands z'absents!-, on donnait de la voix. On hélait la personne visée pour la faire apparaître à une fenêtre ou sur le perron. Mais le plus souvent, on se contentait de toquer sommairement à la porte arrière et on entrait dans la foulée, sans attendre un "Entrez!" en réponse, et on tombait le plus souvent dans la cuisine où s'y trouvait presque toujours quelqu'un. On savait qu'on pouvait procéder ainsi. C'était comme ça. C'était la norme de l'époque, on va dire.
Sur ce schéma, il arrivait qu'apparaisse la tête toute menue et récemment permanentée d'une tante à maman, tante Thérèse (d' dànda Déréz) d'Erstein. Tout sourire dehors, elle se pointait toute seule, comme une grande, dans l'ouverture de la porte de notre cuisine, une petite valise à la main. Elle saisissait, voire provoquait, une opportunité pour se faire véhiculer et déposer devant chez nous, petit village sans la moindre gare et quelques rares autobus qui le reliait à Sélestat.
Et tante Thérèse de claironner, sans se départir de son doux sourire:
- "Bonjour! je viens vous rendre visite pendant 15 jours!".
Faisait-elle le voyage chaque année? Je ne m'en souviens pas bien mais je ne le pense pas. La seule certitude c'est que ses visites avaient lieu au printemps. Après Pâques où le Lapin nous déposait presque toujours, en plus des sujets et oeufs en chocolat, une nouvelle balle dans les nids fabriqués pour la circonstance. Tante Thérèse qui avait déjà un âge certain, n'aimait pas vraiment le bruit que faisaient les dites balles lorsqu'elles rebondissaient sur le plancher de la cuisine sous nos mains lestes. Elle ne râlait pas. N'exigeait pas que mon frère et moi nous arrêtions ce jeu bruyant, dérangeant pour elle. Mais, ni vue ni connue, elle nous décochait de petits pincements brefs mais bien sentis dans la nuque et les trapèzes. Ca nous arrachait des cris vifs, des pleurs aussi et elle, toute compatissante, de nous demander:
-"Ja wàs hann'r da, kéndr?" (mais qu'est-ce que vous avez, les enfants?).
Cela se passait dans notre dos, or je me doutais bien qui m'occasionnait ces douleurs vives. Mais en ce temps-là, la notion de respect de l'âge et surtout des adultes, était une valeur dominante et fort bien ancrée dans les esprits. Et, comme nos cris stridents restaient mystérieux et sans la moindre explication, nos parents finissaient par nous sommer de sortir et de continuer à jouer dans la cour. Plutôt bonne stratège, la tante.
Pas rancuniers, nous finissions par les oublier d'une année sur l'autre, ces pincements traîtres. Mais ma rutilante brosse à dents rouge vif que j'ai été obligée de jeter alors que je venais de l'étrenner, ça ça m'a longtemps poursuivi!
Un matin, ma mère avait surpris la tante Thérèse qui astiquait ses dentiers avec la première brosse à dents qu'elle piochait du gobelet où elles étaient toutes rassemblées dans la salle de bains. Son choix s'était porté sur ma mienne, la rouge que j'aimais tout beaucoup. Durant tout le séjour de la tante, ma brosse à dents rouge était restée sur la tablette au dessus du lavabo, pour elle, et tous nous en avions reçue une autre que nous devions planquer impérativement à la cuisine, sur l'étagère en dessous de l'évier. Franchement, je ne sais même plus de quelle couleur étaient mes brosses à dents suivantes, mais ce qui est certain, c'est qu'aucune n'a jamais égalé la taille ni la beauté de la rouge réquisitionnée par la tantine.
Et la première injonction, que dis-je, le véritable cri du coeur de maman lorsqu'on voyait débarquer tante Thérèse avec sa valise, était de nous dépêcher de mettre nos brosses à dents à l'abri!
Août 05/2017