RENTREE DES CLASSES d' ANTAN. ( 1 / 2 )
On n'est que début d'août et, à peine ai-je passé le tourniquet pour pénétrer dans le supermarché, que mes naseaux flairent déjà cette subtile odeur qui mêle plastique, papier et crayons qui rappelle que la rentrée des classes approche doucettement mais sûrement.
Aaah..., même si je ne suis plus concernée depuis perpète, j'emprunte le rayon dédié pour m'informer, on va dire, mais surtout pour me laisser enivrer autant par les parfums cités plus haut, les couleurs, les matières qu'un zeste de nostalgie... Et il n'est pas rare que je cède à l'envie d'acquérir un nouveau cahier à petits carreaux, mes préférés, un porte-plume ou un stylo qui promet d'écrire en bleu et tout fin, alors que mes 3 gobelets en débordent et saturent grave.
De mon temps, .....euuuh, attendez, c'est-y que cela nous replonge touuuuut loin en arrière, au tout début des années 60, éh oui.
A cette époque, les grandes vacances duraient jusque vers la mi-septembre. Un délice, même s'il n'y avait pas d'heure d'été et que les soirées nous paraissaient de plus en plus courtes une fois le 15 août dépassé. Les étés devaient certainement aussi connaître des pics de chaleur. Je me rappelle surtout les grosses pluies que les caniveaux d'alors peinaient à écouler et nous enlevions nos sandales pour courir pieds nus jusqu'à la maison. Les mots et sensations qui me reviennent en boomerang sont liberté, légèreté, rires, improvisation.... durant toute la belle saison jusqu'à en être saturée, presque au point de souhaiter que la date de la rentrée des classes, arrive!
L'école des Filles, comme son nom l'indique si bien -et qui n'était alors réservée qu'aux seules élèves "filles"-, jouxtait le bâtiment tout récent, moderne, lumineux et fonctionnel, de l'école Maternelle.
Un petit muret surmonté d'une grille ajourée en fer, séparait les deux cours de récréation. Aucun portail ne les fermait? Il ne serait venu à l'idée de personne d'aller jouer avec le territoire des grandes, et vice-versa. Madame Mariette et mademoiselle Cécile y veillaient, les trois soeurs, toutes de noir vêtues, avaient l'oeil à tout depuis le promontoire représenté par les 3 marches menant à la porte d'entrée du primaire. Elles n'avaient pas besoin de sillonner leur cour, les jeux des filles étaient bon enfant et se limitaient à jouer à la marelle, à "attrape" ou à se raconter leurs jouets et, pour les rares privilégiées qui avaient accès à la télévision, de commenter le dernier épisode de "Jeannique Aimée" sur son Solex . Les fins de récrés ainsi que les menus débordements de conduite, se voyaient stoppés net par un coup de sifflet strident, et quasi instantanément les choses et les élèves rentraient dans le rangs. Ce rappel bref suffisait et était amplement efficace, oh, pour ça oui! Il n'empêche que malgré ces jeux bon enfant, il arrivait que des punitions pleuvaient. Adopter le bon langage était de loin le plus difficile à intégrer. Car dans le feu de l'action, il nous arrivait d'oublier où nous nous trouvions et des bavardages, voire des gros mots (rares..!) en alsacien fusent. Les soeurs avaient les yeux partout mais les oreilles également. Rien ne leur échappait. combien de volées de 20 lignes nombre d'entre nous avons dû gribouiller dans nos cahiers de brouillon après les devoirs du soir puis quémander une signature d'au moins l'un de nos parents?....
Et vous pouvez me croire, ruser, louvoyer, invoquer l'injustice,.... rien n'y faisait. Car une punition reçue à l'école pouvait en engendrer une plus terrible encore à la maison! Nos arguments n'avaient pas le moindre poids. C'était peine perdue, les parents soutenaient inconditionnellement les enseignants, pas leur progéniture.
"Je ne dois pas parler en alsacien pendant la récréation.
Je ne dois pas parler en alsacien pendant la récréation.
Je ne dois pas parler en.......... "
Conséquence majeure? Quasiment deux générations ont ensuite snobé le causer (schnàwla) dialecte. On pensait faire chic en parlant français même avec des grands-parents qui le comprenaient difficilement. C'est-y qu'on ne s'entendait pas dire certaines expressions typiques baptisées de l'halsacien/français du style "monter en haut", "descendre en bas" ou la presqu'oubliée "ça pleut dehors"! Non, non, je n'évoquerais pas l'accent qui nous caractérise, sans doute le plus moqué des français de l'intérieur.
Juste retournement de situation, mais quelque peu désespéré dirai-je, aujourd'hui des parents militent pour que l'on s'adresse à leur progéniture en dialecte dès la crèche, beaucoup en maternelle et de ci de là, dans les écoles primaires. De mon temps, l'alsacien se parlait chez soi, à la maison, dans les commerces, dans la rue..... Je n'ai été confrontée au parler français qu'à partir de mon entrée à école maternelle, à partir de l'âge de 3 ans donc.
Ca y'est, j'ai eu 6 ans en janvier, presque tous les ingrédients de l'été étaient réunis, les fleurs, la chaleur, les manches courtes, .... et ma période "école maternelle" allait prendre fin avec l'avènement des grandes vacances qu'on sentait de plus en plus proches. Et j'en éprouvais un léger pincement au coeur. Laisser le sourire doux et bienveillant de Mademoiselle Cécile pour la rigueur, la noirceur et la rigidité des soeurs, me faisais un peu peur. Et sans doute pas qu'à moi!
Avec le recul, je crois pouvoir dire qu'elle m'avait à la bonne, Mlle Cécile. Elle était née et avait grandi dans une maison située à côté de celle de mes grands-parents maternels. Mais ça, je ne le saurais que bien plus tard, lorsque je rachèterai cette parcelle un peu décrépie pour agrandir et transformer l'étable en une coquette maisonnette d'habitation. Ah, elle en était toute fière, Mademoiselle Cécile et venait souvent, accompagnée d'une amie, d'une voisine, pour montrer où elle avait poussé son premier cri. Certes, elle n'était pas née dans une étable comme le petit Jésus, mais hop's, c'était son histoire; à quelques mètres près elle avait tout bon. Ceci dit, il convient que je la remercie pour avoir terminé à ma place, de broder un gros champignon sur un carton rose, exercice qui me mettait grave en difficulté. J'ai eu beau protester lorsqu'elle s'était mise à louer mon application, mon travail impeccable devant toute la classe, elle n'en démordait pas, j'avais du talent pour les travaux d'aiguilles (bien plus tard, oui, on pourra le dire, mais....), un point c'était tout! Ce fût ma toute première confrontation à l'injustice des hommes, enfin, des femmes. C'est pareil, gal?
C'est alors que ça sentait grave l'été et que l'univers scolaire, même en Alsace, tournait délicieusement au ralenti, que Mademoiselle Cécile nous fit faire une page entière de calculs simples, des + et des -, dans nos cahiers qui comportaient déjà des lignes de grosses lettres, de BA, de BE, BI,... de "papa" et de "maman", plus ou moins appliqués. Allez savoir par quel miracle mes calculs étaient tous justes que même Mlle Cécile en fût toute époustouflée. J'ai détesté l'idée qui a germé en elle et qui fît qu'elle exigea que j'aille faire superviser ce qu'elle considérait comme une prouesse, à Soeur Léonie qui m'accueillera dans sa classe -en CP-, à la rentrée prochaine. Sauf que, pour ce faire, il me fallu traverser la cour, me faufiler un chemin entre les grandes qui zigzagueraient en tous sens pendant la récré. J'appréhendais parce que j'étais timide d'une part, et une peur indicible me nouait l'estomac.
Le moins que l'on pouvait dire, c'est que d'approcher d'aussi près le bâtiment qui abriterait ma prochaine étape scolaire, me fascinait tout autant qu'elle m'en imposait. Sauf que... Sauf qu'il allait falloir que je traverse une large partie de la cour -et au moins autant d'embûches-, avant d'atteindre l'escalier où se tenaient les soeurs pendant les récrés. Je me maudissais ainsi que Mademoiselle Cécile dans la foulée. Au point de me gâcher tout le plaisir et le zeste de fierté pour avoir réussi ces calculs à la noix.
J'avais à peine posé un pied sur le territoire de jeux des grandes, qu'une flopée de filles -des grandes, forcément-, me héla bruyamment et me fît barrage.
- "C'est chez nous, ici, ta place c'est là-bas, chez les petits!", m'apostropha Bernadette avec arrogance.
Les autres approuvèrent en opinant du chef tout en faisant bloc.
-"J... je dois aller m... mon..trer mon cahier à Soeur Léonie...", risquai-je comme explication à ma présence en ce lieu hostile et dédié spécifiquement aux grandes. Ca je le savais. Et le redoutais.
Gros éclats de rires moqueurs qu'un bref mais ô combien salvateur coup de sifflet, stoppa net.
Ragaillardie, j'en profitais pour poursuivre mon chemin. Qu'on en finisse, et vite!
Qu'est-ce qui m'a pris à ce moment là de me retourner vers elles et de leur balancer un provocateur et désespérant:
-"Gaffe, un jour je vous rattraperai !".
Pppppfffffuittt..... Tu n'aurais pas pu faire plus dans le ridicule, ma pauv' Micheline.....
Pliées de rire qu'elles étaient, les filles. Sans compter que ma pathétique réflexion se répandit dans toute la cour comme une traînée de poudre.
Le summum de la honte.....
Micheline
Décembre 03/2017
(suivra une 2ième partie,"l'école primaire")