et les beatles chantaient

RENTREE DES CLASSES d' ANTAN. ( 2/ 2 )

 

 

    - chaîne.

    - chêne.....

 

 

    Ce jour où, assise derrière sur le banc dans la classe du cours préparatoire animé par Soeur Léonie, à anoner à haute voix tout en suivant le défilement des mots avec mon index.... oui, ce jour où j'ai découvert et surtout compris que des mots qui se lisaient et résonnaient tout pareils à l'oreille, orthographiés différemment, ils avaient ce pouvoir magique de faire surgir des images de choses aussi différentes dans ma tête que la chaîne de notre chien Diane ou le plus gros arbre de la forêt qu'était le chêne. Ce fût une découverte sublime, une toute belle révélation.

 

    J'étais estomaquée et soudainement  émerveillée par les lettres et surtout les mots. Ces mots qui pouvaient créer et animer un imaginaire sans fin. Cela déclencha en moi une envie quasi boulimique de tous les connaître et je dévorais dès qu'on en eut le droit, tous les livres de la bibliothèque, rangés dans des placards sous les hautes fenêtres de la classe. 

 

    Il fallut, avant d'avoir accès à des ouvrages plus classiques, lire toute la rangée de la vie des saints et des saintes. Et croyez-moi, si je n'ai pas fait de cauchemars ni de bouffées d'angoisse, c'est que je dois être de bonne constitution. Car ils n'avaient pas la vie facile ni longue, tous ces saints qui finissaient presque toujours mal et pas tous pareils. J'en ai lu des récits de têtes coupées, d'autres encore qui furent égorgés ou brûlés? Et aujourd'hui encore, je nourris une tendresse toute particulière pour Sainte Blandine qui, malgré son joli prénom, a terminé dévorée par les lions dans l'arène. La pauvre.

 

 

    

    Dès la maternelle, nous nous rendions à l'école à pied, puis parfois en vélo en primaire. Nos mères qui gardaient le foyer pour la plupart, n'avaient pas le temps de nous y accompagner et encore moins de nous y emmener, puisque quasiment personne au village ne possédait de voiture dans les années 60. Et quand bien même des parents en aient eu une, jamais l'idée de transporter les enfants jusqu'à l'école n'aurait germé dans les foyers. Encore plus rares étaient les femmes qui avaient leur permis de conduire. Ma mère allait sur ses 50 ans lorsque mon père l'a poussée à le passer. 

 

  Le plus grand changement, que dis-je, le véritable chamboulement pour la marmotte qui sommeillait alors déjà en moi, ce fût de devoir faire quotidiennement un détour par l'église avant d'aller à l'école, afin d'assister à la petite messe de 7H10. Dur, dur.... surtout en hiver lorsqu'il faisait encore nuit noire ou que la neige rendait la progression difficile et interminable. C'est que les semelles de mes jolies snow-bottes blanches en caoutchouc, n'étaient pourvues que de dessins peu profonds et ô combien inefficaces contre les glissades. Il me semblait que si j'avançais précautionneusement d'un pas, je glissais aussitôt de trois pas en arrière. Quelle horreur! Sans compter que le froid vif mordait vite nos doigts de pieds, gare alors aux douloureux wéndr bilas (engelures).

 

    

   - "Loué soit Jésus Christ, ma soeur", disions-nous machinalement en guise de "Bonjour" en défilant, babouches aux pieds, pour regagner nos places. C'était à la fois long à dire et un peu obscur aussi. Ce loué soit Jésus gris?... cri?... Mais hop, c'était comme ça, elles y tenaient et toutes on s'y tenait.

 

    La classe, composée de deux niveaux, débutait invariablement par un cours de religion dispensée par Soeur Léonie. Elle avait le don de captiver son auditoire -en tout cas moi, je buvais ses paroles-, lorsqu'elle nous racontait Jésus, Marie, le désert, les apôtres, les miracles, son terrible chemin de croix, etc...., c'était juste fascinant et tellement exotique. Une histoire sans fin avec chaque jour de nouveaux rebondissements, des ramifications comme il était difficile d'en imaginer de semblables dans un paisible village comme Hilsenheim.

 

    Comme je jalousais Jacqueline qui était dispensée de la demi-heure de religion et débarquait comme une fleur en classe, juste après ce cours. Et tout ça parce qu'elle était de confession protestante. Le jour où le Curé Jaeck venait pour nous faire une leçon de catéchisme, pareil, elle avait le droit de partir à 11 heures alors que nous nous devions rester jusqu'à midi en classe. Ce qu'on occultait alors, c'était que Jacqueline et sa soeur de deux ans son aînée, faisaient quatre fois le trajet en vélo depuis le Riedhof où elles habitaient (une grande ferme située en pleine nature distante de 2 bons kilomètres du village) et ce, par tous les temps, été comme hiver, qu'il vente, qu'il pleuve ou même qu'il neige. Il fallait vraiment des conditions exceptionnelles pour que leur mère les ramène à l'école en 2CV!

 

 

    Toutefois, le catéchisme dispensé par le curé Jaeck, un grand échalas en soutane et aux grands yeux d'un bleu aussi limpide et exceptionnel que ceux de Jean d'Ormesson, était presqu'un délice, un véritable espace de liberté de parole. Aujourd'hui cela semble naturel que l'on puisse échanger avec un adulte ayant autorité. Sauf que dans les années 60, poser des questions, faire autre chose que d'écouter attentivement et en silence l'instituteur, n'allait vraiment pas de soi, oh que non. Certes, il fallait toujours lever le doigt pour demander la parole et attendre le signal pour pouvoir la poser, notre question. Mais avec lui, on pouvait y aller de nos questions, échanger sur tout et pas que sur la religion. Quelle ouverture cela représentait alors pour nous, gamines! Avec lui, on avait l'assurance qu'il n'existait pas de question bête ou taboue. Nous étions entendueset cela représentait quelque chose, croyez-moi.

 

  La chevelure d'un blanc et éclatant dans laquelle monsieur le curé passait souvent machinalement la main, en intriguait plus d'une. On sentait comme un anachronisme entre ce regard vif et limpide, jeune, son visage frais et lisse et la blancheur de ses cheveux qui détonnait, qui nous étonnait.

 

     Et il nous l'a expliqué, ce qui lui était arrivé, tout naturellement.

 

    Pendant la guerre, Charles Jaeck faisait partie de la Résistance et fût capturé. La sentence tomba sans autre forme de procès, il serait exécuté le lendemain, à l'aube. Le choc. Il n'est pas arrivé à fermer l'oeil de la nuit, l'ultime nuit de sa vie de jeune homme et priait, priait tout ce qu'il pouvait, toute la nuit durant.

    Le lendemain, lorsque ses geôliers sont venus le chercher, il virent ce que lui ignorait encore: sa belle chevelure de geai avait viré au blanc immaculé! 

     Etait-ce à cause de cela où est-ce que d'autres circonstances se rajoutèrent à cette mutation spectaculaire, je ne m'en rappelle plus. En tout cas il ne fût pas mis à mort ce matin-là. Et lui qui la veille doutait encore, sût que s'il devait sortir vivant de cette guerre, il serait prêtre. 

 

    Cette révélation narrée avec un naturel et une évidence déconcertants aux gamines que nous étions alors, en laissa plus d'une médusée et sans voix. Pour ma part, ce récit m'a autant remplie d'admiration que de désarroi. Etre touchée par la grâce ou la foi, descendre d'un prince ou d'un roi nourrissait déjà mon imaginaire à cette époque. Mais de faire une promesse à un Dieu, l'honorer et s'y tenir, opérer un tel virage pour suivre une vie durant une vocation aussi exclusive, me troublait et m'inspirait à la fois du respect et une profonde tristesse. A mes yeux c'était n'exister que pour autrui. Louable et effrayant à la fois. S'en dégagea un profond respect pour ce curé aux cheveux tous blancs, toujours pressé et qui sillonnait notre village sur son grand vélo noir, soutane au vent. Je n'aurais pas voulu endosser sa destinée....

 

    Il se disait que le résistant devenu curé n'était pas un résistant ordinaire, qu'il était per dü (c-à-d, qu'ils se tutoyaient) avec un autre Charles, Charles de Gaule. Qu'il lui arrivait de monter à Paris, en train, pour le rencontrer.... 

 

 

 

    Le premier survêtement de sport que j'ai étrenné, c'était en 6ième. Auparavant, le sport tout au long du primaire, était une matière on ne peut plus balbutiante et se pratiquait dans des conditions pas vraiment idéales ni alléchantes, on va dire ça comme ça. Pour les garçons il y avait certes un instituteur, Monsieur M., qui se démenait pour promouvoir le hand-ball auprès des garçons de son école et ce, sur une place de la mairie au sol inégal, rafistolé plutôt mal que bien, avec des tartines de goudron, au gré des chantiers au sein du village et qui terminaient là pour ne pas gaspiller le produit.

 

 

    Pour nous autres, les filles, l'éveil au sport était encore plus épique. Les soeurs, avec leurs longues robes noires et le voile qui leur couvrait les épaules et descendait jusqu'aux omoplates, avaient mis en place le rituel suivant. Elles réquisitionnaient une élève plus âgée et qui fréquentait une classe supérieure, afin qu'elle nous démontre comment nous devions nous y prendre pour (tenter de!) grimper à l'une des 3 cordes qui pendouillaient sous le préau de l'école. Toutes nous portions des jupes ou des robes sous notre tablier, des chaussures de ville et... des bas ou des collants qu'il ne fallait surtout pas déchirer ni faire filer. Guère enthousiasmées plus que ça, on en était presque toutes restées au stade de la corde à noeuds, de difficulté moindre. Rares étaient les élèves qui parvenaient à monter suffisamment haut et toucher le plafond; le pompon, le graal du graal! Scénario identique pour les séances de saut en hauteur. Un élastique rouge tendu entre deux piquets en bois, rehaussé de 10 centimètres après que le groupe se soit plié à l'exercice. 

 

    Au collège, où on avait oublié à notre époque d'inclure une salle de sport au complexe, la matière ne fût guère plus attrayante. D'ailleurs mes classes de 6e et de 5e se déroulèrent dans des pré-fabriqués en face de la mairie. Parler du sport au collège sera tout aussi succin qu'en primaire. On nous faisait marcher de l'établissement jusqu'au terrain de foot qui se situait alors à côté du château d'eau. Cela nous prenait bien plus qu'un quart d'heure pour nous y rendre, au moins autant pour revenir. Puis il fallait courir autour du stade en guise d'échauffement. Lancement de poids, course ou ballon prisonnier, c'était à peu près tout ce qui était proposé sur place. Je n'ai pas l'impression que des élèves se soient particulièrement distingués sur ce terrain ou que de réelles vocations y soient nées. En tout cas pas à ma connaissance; et surtout pas chez moi!

 

 

    Par ailleurs, j'ai porté mon tout premier pantalon en 1969 pour le voyage scolaire à Londres. J'avais 14 ans et j'étais en classe de 4e au collège de Sundhouse. Il était à carreaux noir, gris et blanc coupé dans un tissu qui grattait sacrément. je l'ai même immortalisé sur une photo où je tente de faire la bise à l'un de ces gardes réputés impassibles, en poste devant Buckhingham. Un classique. Mais j'avais osé ce cliché kitschisime. 

 

    Pour mémoire, la loi interdisant le port des pantalons pour les femmes ne fut que partiellement levée en 1892 et 1909, n'autorisant le port féminin du pantalon "que si la femme tenait le guidon de la bicyclette" ou faisait du cheval. Même qu'il fallait se présenter à la Préfecture de Police pour obtenir l'autorisation, rien que ça! Combien étions-nous d'en-pantalonées de par le vaste monde à être hors la loi puisque cette loi datant de près de deux siècles, était en vigueur jusqu'au ..... 6 février 2013! Eh voui...... qui l'eut cru?

 

 

    Une ou deux fois l'an, quand il faisait beau et sec afin de ne pas trop salir les escaliers de l'école, les soeurs nous faisaient porter le bois, les bûches qui alimentaient les poèles des salles de classe. Cette activité nous plaisait bien. Et même si le parcours était jalonné de soeurs, l'une qui chargeait les bûches dans nos bras en corbeille, qu'une autre se postait au pied de l'escalier du rez-de-chaussée et la troisième à celui qui menait au grenier, nous nous acquittions de ces bouts d'après-midi de travail avec sérieux et dans une certaine bonne humeur. Arrivées au grenier, nous jetions le bois sur un tas et nous redescendions à la file indienne dans la cour pour un nouveau chargement, et nous voilà reparties, on aurait dit une colonne de fourmis laborieuses. Mis à part le bois qui s'entassait, quelques cordes où pendouillait parfois du linge et des tuyaux d'aération coiffés de cousins en forme de galettes, il n'y avait rien dans cet immense grenier. Bon, aujourd'hui je peux le dire car il y a prescription, mais nous avions cédé 3 ou 4 de nos malabars à une camarade les mastiqua bien et qui cracha la grosse boule amalgamée, dans le seul tuyau d'aération qui nous laissait entrevoir une paire de schlànpas (pantoufles, des charentaises un peu fatiguées en l'occurence), car les soeurs logeaient juste en dessous, dans l'aile droite du bâtiment. Inutile de rajouter que nous n'en menions pas large le lendemain, en retournant en classe. La crainte de représailles nous tenaillait grave. Car dieu sait que les retombées pouvaient être virulentes, cinglantes même. Le dos d'Huguette se rappelle sans doute encore des martèlements poings fermés de soeur Etienne lorsqu'elle osait lui répondre sans attendre d'y avoir été invitée. Ceci pour ne citer qu'un exemple de ce qui pouvait provoquer son courroux. J'ai moi-même goûté aux coups de règle -avec un bon élan, s'il vous plaît!- sur les mains ou sur le dos des phalanges. C'était la punition de celles qui s'étaient fait prendre à faire circuler des billets gribouillés à la va-vite (les ancêtres de nos sms?...) pour "dire" quelque chose de la plus haute importance à une copine assise dans un autre rang. Nous pensions la soeur trop absorbée à faire la leçon à l'autre moitié de la classe, aux plus grandes ou aux plus petites, c'était selon, et que nous étions sensées plancher sur les exercices ou les conjugaisons qu'elle nous avait donné à faire pendant ce temps. Que nenni! Même si nous étions plus près des 40 que de 30 élèves par salle de classe, on peut dire que docilité et silence y régnaient. Rien, non rien n'échappait à l'oeil de lynx de la soeur, quel que fût son nom d'ailleurs. Aaah... ça, non.

 

 

 

    Mon Dieu, je vous en prie, faites qu'il fasse beau et doux le jour de l'Ascension lorsque nous ferons notre 1ière Communion! C'est que, la robe d'un joli rose poudré agrémentée d'un empiècement en broderie anglaise sur le haut qui laissait deviner le rose par les jours. LE détail qui tue! J'adorais. Et je ne voulais surtout pas que mère m'oblige à porter un gilet pour aller à la messe ce jour là.

 

    Elle est super douée, Fernande. Le tissu qu'on avait été choisir ensemble à Sélestat, elle l'a transformé en une pure merveille. Une création à elle toute en finesse et en originalité. En rajoutant des boutons fantaisie, de la broderie anglaise, des fausses poches, un col qui se terminait en noeud .... , elle et sa machine à coudre travestissaient chaque morceau de tissu en un vêtement tout droit sorti de son imagination et de ses doigts habiles. Il aura fallu plusieurs jeudis après-midis d'essayages et de réajustements avant que l'on puisse voir ce que serait le résultat final. Mais j'avais confiance en son talent. Et puis, ce n'était pas la première fois qu'elle me cousait des habits, surtout pour le dimanche. Pour le mariage de mon parrain, Fernande m'avait même fait deux tenues différentes puisque la fête s'étalait sur deux jours, le samedi et le dimanche. 

 

    Comme j'étais fière du haut de mes six ans, d'arborer mes deux robes de princesse pour cette occasion. Par contre, j'ai été on ne peut plus déçue qu'Agnès, la femme de mon parrain, ne porte plus sa belle robe blanche le second jour de leurs noces. Elle l'avait troquée contre un petit tailleur beige clair, pppffff...... J'en pleurais presque.

 

    J'ai mis longtemps encore avant de comprendre la symbolique du blanc des robes de mariées; et de la pureté envolée. Et encore, je n'avais pas idée à cette époque que, jusqu'aux alentours des années 50, les mariées étaient habillées de noir avec juste une voilette blanche qui recouvrait tout ou partie de leur visage, le plus souvent fixée à petit chapeau de la même couleur.

 

 

 

    Toutefois, faire sa 1ière communion impliquait bien d'autres choses que de s'avancer et de s'agenouiller dans le choeur de l'église dans une jolie robe neuveet un serre-tête orné de petites fleurs blanches.

 

    Au catéchisme habituel, se rajoutèrent divers apprentissages, dont celui, de la confession et de son rituel. Et du coup, extirper 20 centimes dans le porte-monnaie de maman pour aller acheter des chewing-gum chez l'épicière d'en face, devenait un vol. Et de ce fait, un péché à confesser au curé. Sans mentir sur le nombre de ces menus larcins, sinon se rajoutait un nouveau péché: le mensonge! Ah, vivre et s'amuser tout en aspirant devenir une bonne et pure enfant de Dieu, devenait un casse-tête au quotidien, partout, aussi bien à la maison, à l'école, même en jouant avec les camarades!

 

    Une fois par mois, la soeur nous accompagnait à l'église, nous faisait asseoir dans les deux derniers bancs du fond et nous laissait seules avec le curé qui attendait qu'elle fasse entrer les deux premières filles dans le confessionnal. Le silence des lieux et le cérémonial qui allait s'y dérouler nous tétanisait et je n'ai aucun souvenir de bavardages entre nous ou d'un fou rire comme il pouvait en fuser en cour de récré. Rien de tout cela ici. Agenouillées, nous tournions le dos à l'isoloir à trois portes qui s'appuyait tout contre le mur et ressemblait fort à l'armoire dans la chambre à coucher de mes parents, le miroir en moins. 

    Que l'on ai laissé échapper deux ou quinze jurons, les incontournables f'r tàmi, (damnation!) ou désobéi une ou cinq fois dans le mois écoulé (euuh... environ, comme ça; à la louche...!), le prix à payer restait immuablement le même pour que le curé efface nos fautes et  prononce  l'absolution: réciter l'acte de contrition, puis quitter le confessionnal pour retourner dans un banc et prier, en silence, cinq "Je vous salue, Marie..." et un "Notre Père...". Lorsqu'on s'était acquittée de tout ça, on pouvait rentrer chez nous.

 

    Toutefois, lorsque c'était l'Abbé M... de l'orphelinat qui était chargé d'entendre nos péchés, cela se déroulait un peu différemment. Certes, le nombre de prières restait identique, mais lui ne procédait pas systématiquement à l'ouverture alternée des panneaux coulissants qui masquaient les croisillons des lucarnes, lorsque quelqu'une confessée quittait le confessionnal. Dans l'expectative, je restais immobile, agenouillée dans la pénombre, guettant le moindre bruit qui parvenait jusqu'à mes oreilles. 

 

    Il lui arrivait d'avoir une bouteille de vin rouge à ses pieds et j'entendais distinctement le tintement du verre dont il recoiffait le goulot,  juste avant qu'il n'ouvre le volet pour entendre ma confession. Bouuh..., cette odeur aigrelette et fétide qui se répandait alors dans l'espace restreint et confiné du confessionnal. Et le pompon, c'est qu'il exigeait que je zappe toutes les lignes du feuillet pour aborder directement le sixièmement. Le sixièmement? Les impuretés. L'abbé entreprenait de me cuisiner sur les images sales et les choses impures que j'aurais pu entendre, dire ou faire..... Ah?

    Je n'avais que 8, 9 ans à l'époque. Je grandissais et évoluais dans un petit village rural, et l'on n'avait pas encore la télévision ni même le catalogue de La Redoute chez nous.

    Et dire que cette parodie de confession me coûtait tout de même les cinq "Je vous salue" et le "Notre Père"! Ppfff...., c'était bien la peine que je me donne tant de mal pour tenir la comptabilité de mes insignifiants petits jurons mensuels, puisqu'il ne daignait pas même les entendre....!

 

 

   Soeur Léonie a certainement eut du galon car c'est elle que nous eûmes à nouveau comme instit' pour notre dernière année avant d'intégrer le collège.

    Poursuivre sa scolarité au collège alors que le certificat d'études restait d'actualité, n'allait alors pas de soi. Le cahier mensuel dans lequel nous nous appliquions à écrire des exercices: calculs, dictées, vocabulaire, conjugaisons et autres...., avec le soin extrême que nous recommandait la soeur, en était en fait, la  porte d'entrée. Et soigner son écriture lorsqu'on écrivait exclusivement avec le porte-plume que nous trempions avec précaution et mesure dans l'encrier, exigeait un calme olympien, de la concentration sur toute la ligne et tout en restant dans les lignes, pour tracer chaque lettre sans faire de dénnda schprétzr (des pâtés d'encre). 

 

    On était en 1966 et six filles de notre classe furent retenues pour intégrer une classe de sixième au collège. L'inspecteur aurait  basé sa sélection après examen de nos cahiers mensuels, nous dit Soeur Léonie. Encore fallait-il que nos parents soient d'accord et n'aient pas d'autre projet professionnel ou d'apprentissage bien arrêté pour nous six.

    Il faut dire que la notion d'adolescence commençait tout juste à émerger à cette époque-là. Jeanne, ma mère, née en 1924, fût l'une des premières à aller en classe jusqu'à quatorze ans, c'était treize jusqu'en 36; et l'obligation passa à seize ans en 1959. Souvenez-vous des Clo-Clo, Johnny, Sheila, Sylvie Vartan, France Gall,... qui ont débuté leurs carrières dans la chanson, et même enregistré leur premier disque à 16, 17 ans. Pour les non show-biz, c'est très souvent un apprentissage qui débutait à cet âge-là, voire carrément travailler à  l'usine ou dans l'entreprise familiale. On glissait généralement du statut d'enfant à celui d'adulte, après avoir fait sa communion solennelle. 

 

    Pour notre dernier jour de classe, Soeur Léonie demanda à ce que nous les six, nous restions un moment après 16 heures. Elle se tint devant chacune de nous. Les six de ses élèves qu'elle voyait partir pour la première fois vers ailleurs; un ailleurs inconnu et qui nous excitait autant qu'il nous effrayait, je crois. Elle eut un court mot d'encouragement différent pour chaque fille et nous fit même la bise. Ce geste d'affection de la part d'une soeur me surpris, autant que la phrase qu'elle me destina. Elle me susurra de sa voix si captivante et douce, qu'en fait les histoires qu'elle nous racontait chaque matin en religion, c'étaient en fait des image. Des paraboles.

    Paraboles?.... Qu'est-ce que c'est que ça que c'est?...

    Juste le petit monde de rêve que je m'étais forgé dans ma tête, matin après matin, qui se fissure. Dommage.....

    

 

Micheline

 

 

Janvier 09/2018)

 



05/12/2017
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