"s' Neij Jonhr's Liadl"
Les fourneaux ronronnaient depuis le matin et toute la maison respirait déjà les futures réjouissances du soir. Les parfums de la Fleischsonpp (le Pot au Feu) et du jambon à l'os, se répandaient et embaumaient chaque recoin de la maison aux vitres embuées.
Et nous, les enfants -cousins et cousines compris-, rafollions de ce jour de la Saint Sylvèstre où toute la famille qui habitait à Hilsenheim où alentour, se réunissait autour d'une bonne table bien garnie et arrosée également des chants de l'assemblée, soutenus par la mandoline exotique et chialante de l'oncle Virgile. C'était surtout une nuit magique où il n'y avait pas d'heure pour aller se coucher. Nous nous endormions tard, très tard, qui sur un divan, qui sous la table, parfois dans un lit -au hasard-, épuisés par nos jeux, nos cris, nos disputes parfois aussi.
Mais avant cela, une compétition un peu particulière s'était jouée dans les rues du village. En effet, nous guettions impatiemment la tombée de la nuit pour nous en aller chanter le "Neij Jonhr's Liadl" devant la porte d'entrée où les volets éclairés des membres de la famille qui se préparaient pour venir réveillonner chez nous, plus quelques autres maisons que nous supposions généreuses.
Nous formions chaque année, un duo avec Huguette, une cousine du même âge. C'est que, à deux, nous nous sentions plus vaillantes pour entonner ce chant alsacien/allemand, appris phonétiquement. Mais sans doute aussi un peu parce qu'il faisait nuit noire et qu'à deux on se sentait plus courageuses! Mon frère Laurent commençait à s'apprêter alors qu'il faisait encore jour et filait le premier, alors que la nuit tombait à peine. Il préférait faire cavalier seul, cela avait un avantage non négligeable, il n'avait pas à partager les recettes de sa tournée!
Chacun de notre côté, nous avions bricolé notre boîte en fer blanc vide de Ricoré ou d'Ovomaltine, qu'il suffisait de dépouiller de sa bande-papier vantant la marque pour qu'elle brille comme un sou neuf! Par contre, il ne fallait en aucun cas négliger la taille de la fente à sous, ceci afin qu'elle ne laisse pas passer les fameuses grosses pièces de deux et de cinq centimes en alu, de ce qu'on appelle toujours encore, les anciens francs. La honte suprême pour les chanteurs que nous pensions être à l'époque! N'empêche que cela nous arrivait tout de même l'une ou l'autre fois, qu'on s'en fasse refourguer, de ces maudites pièces-là. Il y eut ceux qui, s'apercevant de leur "erreur", se ravisaient pour nous doter d'une pièce plus convenable, alors que d'autres, pas gênés pour un sou, déposaient carrément l'horreur dépolie sur le couvercle de la boîte qui se refusait de l'avaler. Pire encore, on nous servit même des petits verres remplis de ...schnapps ou d'une liqueur-maison, encore plus forte en alcool certainement. C'était pour pouvoir chanter encore mieux, qu'ils rajoutaient, le couple H... de la rue d'Ebersmunster, en se jetant des regards hilares et complices. Toutefois, la peur nous intimait de renverser -le plus discrètement possible-, tout le précieux élixir dans les plantes vertes s'il y en avaient, ou carrément sur le tapis du salon. Si, si, pour de vrai! Et tant pis pour le parquet ciré d'en-dessous. La tache blanchie ne se remarquerait sans doute pas avant Pâques et le fameux Osterputz (nettoyage de Pâques, de printemps). Cela nous laissait une marge et, d'ici là, personne ne ferait plus le lien avec la nuit de la St Sylvèstre. Car imaginez vous, rentrer à la maison avec une cuite à l'âge de 8 ou 9 ans, c'était carrément inimaginable et impardonnable, même un soir de réveillon! Nous étions tellement briefés par nos parents qui, tous, étaient de fervents distillateurs de schnapps, faisaient leur "Riedling" avec les raisins de leurs vignes de plaine, nous serinaient que l'alcool avait le pouvoir d'arrêter net la croissance des enfants, qu'on s'en méfiait grave et nous en tenions éloignés comme de la peste. Malgré ou surtout, à cause des effluves de ces breuvages en devenir qui remontaient parfois de la cave, jusque dans nos chambres.
Puis nous nous dépêchions de rentrer chez nous en faisant tinter la boîte de temps à autre, le long du chemin. Ensuite, notre rôle consistait à tendre l'oreille dans le brouhaha qui avait envahi la maison entretemps, et de guetter les concerts de nos aînés, les dix-quatorze ans et plus, pour leur donner la pièce lorsqu'ils s'arrêtaient pour donner l'aubade devant notre porte. Il faut dire que certains faisaient particulièrement fort, venaient à trois ou quatre et poussaient la sophistication jusqu'à s'accompagner d'une guitare, d'un accordéon ou, plus modestement, d'un harmonica.
Voilà, c'est comme cela qu'on attendait l'An Nouveau à Hélsa, au début des années 60, en pleine vague yéyé....
Cela fait bien sûr belle lurette que plus personne ne vient annoncer la nouvelle année en chantant de cette manière-là. Mais chez nous, on veille à ce que le portail ne soit jamais fermé à clé durant cette nuit de passage d'une année à l'autre, des pièces de monnaie continuent de garnir une coupelle près de la porte d'entrée et une lumière veille....
On ne sait jamais....
"Ein glück seeliges, Neues Jahr,
Ohne Krankheit, ohne Gefahr,
..........
Eine "gebenedeite" gute Zeit
Wünscht Euch allen Gelegenheit
..........
Tür und Tor war alles zu
Alles, alles schläfft in Ruh
Tür und Tor war alles zu.......
Alles, alles schläfft in Ruh
............
Nicht eine Hündelein hört man bellen
Auf der weiten, breiten Welt
Nichts als Wind und Wasserwellen
Wütet übers Meer daher
Tür und Tor war alles zu
Alles, alles schläfft in Ruh (bis)
Und so wünschen wir Euch allen, ein gluck seeliges Neues Jahr,
Und so wünschen wir Euch allen, ein gluck seeliges Neues Jahr.....!"
(Texte écrit en l'An 2000, publié sur ce blog en décembre 2011)