"Sésch Kélb im Juillet" (début)
Il arrivait parfois qu'une élève un peu inhabituelle intègre notre classe pour quelques jours, une semaine tout au plus. La soeur nous la présentait brièvement et, le peu qu'elle en disait, nous ouvrait et nous laissait entrevoir un monde inconnu et ô combien fascinant.
Je me souviens plus particulièrement d'une certaine Eliane, ou peut-être se prénommait-elle plutôt Elisabeth...?, une gamine gracile de 8 ans, aux longs cheveux châtain clair, fins et raides, un large bandeau lui dégageait joliment le visage. Elle était très réservée, ne bavardait pas comme nous dès que l'occasion se présentait, et restait assise à la place qui lui avait été assignée, au bord externe du premier rang.
Toutes, nous l'observions pendant qu'elle ouvrait son cartable d'où elle extirpait une trousse et un cahier qu'elle tendit aussitôt à la soeur. On sentait chez elle un rituel bien rôdé, d'école en école les exigences devaient être identiques, les paroles devenant presque superflues.
Soeur Léonie nous expliqua que cette élève qui participerait à nos leçons en prenant le train en marche, ne vivait pas dans une maison ni dans un village comme Hélsa, mais dans une roulotte. Qu'elle suivait ses parents au gré des représentations qu'ils donnaient dans les villages traversés. C'était une famille de saltimbanques, des artistes de cirque qui, dès le premier jour, avaient entrepris d'ériger d'étranges échafaudages sur la place de la mairie.
Le soir venu, les villageois s'attroupaient et attendaient à ciel ouvert, debout à proximité de cet enchevêtrement de poutrelles et de cordes. Amusés et curieux mais impatients du spectacle qui allait se dérouler sous leurs yeux.
Pèle-mèle, les spectateurs ont eut droit au papa d'Eliane qui chevauchait une mobylette pétaradante et dépourvue de pneus. Il évoluait sur une corde d'acier tendue haut dans les airs, notre copine débarquée le matin même dans notre classe juchée sur ses épaules. Ils firent aussi quelques exercices périlleux de trapèze tous ensemble.
Toutefois, ce qui nous subjugua le plus, c'était lorsque la petite qui avait notre âge, apparut seule dans le faisceau de lumière, encore plus gracieuse dans son juste-au-corps bleu ciel avec ses longs cheveux domptés en un chignon de danseuse classique. Arborant tantôt une perche, tantôt une ombrelle, elle entreprit avec une élégante assurance, de marcher sur la corde avec une aisance et une légèreté époustouflantes. Du jamais vu d'aussi près, la télé et "la Piste aux Etoiles" n'était alors même pas encore dans les cartons. Nous étions sans doute nombreuses ce soir-là à rêver et à envier sa métamorphose, son adresse et son talent.
Par ailleurs, nous pensions naïvement qu'il nous serait facile de faire pareil en nous entraînant un tant soit peu. Que bientôt nous pourrions rivaliser avec cette enfant de la balle qui avait fait une brève mais ô combien marquante irruption dans nos vies de petites villageoises.
Nous avions déniché dans la cave, une corde qui ressemblait fort à celle du cirque ambulant. Mais parvenir à la tendre entre deux chaises au milieu de la cour, s'avéra une entreprise plus que compliqué et hautement problématique! Un moment, la corde fût délaissée pour une longue latte. Mais là encore, le "montage" n'était jamais suffisamment stable pour tenir au point de pouvoir évoluer dessus, même à 50 centimètres du sol! Le parapluie déployé que nous agitions à bout de bras à la recherche de l'équilibre, ne nous était pas d'un grand secours, hélas.
C'est finalement Huguette qui eut l'étincelle de génie qui gommera à la fois nos problèmes techniques et d'équilibre. Il suffisait de poser et de tendre la corde à même le sol, de marcher dessus et de faire comme si! Pas vraiment périlleux, le parcours, ce n'était que mimer pour faire du semblant. Mais de parvenir à rallier l'autre extrémité de la corde nous remplissait tout de même de joie et d'aise!
Notre vieille chienne Diane, fût aussi mise à contribution. Toujours attachée près de sa niche, elle ne comprenait rien à nos encouragements et sollicitations pour l'inciter à sauter à travers le houla-houp qu'on agitait devant elle. Avec son pelage blanc tacheté de noir, elle au moins était lucide et ne se prenait pas pour une bête de cirque!
C'est sur cette même place de la mairie que chaque été, au début des grandes vacances, se tenait la kilbe du village. S'y élevaient alors le chapiteau qui abritait le bal, les auto-box, le manège pour les petits, parfois des bâteaux-balançoires ou les étourdissants schlüdr-sassalas, sans oublier le bonm-bonm stànnd (marchand de bonbons) qui n'attirait pas que les guêpes!
(...)
Quasiment chaque village organisait la sienne, de kilbe (fête du village). Mais à Hilsenheim, c'était quelque chose... Et, selon l'âge, on se réjouissait différemment de l'évènement estival. Pour les écoliers, elle signait indéniablement l'entrée en vacances et dans l'été, même si, lorsqu'elle prenait fin autour du 14 juillet, nous avions un petit pincement au coeur, car ce que serinaient les anciens, comme quoi l'été déclinait à partir de cette date, se vérifiait. Il faisait déjà nuit bien plus tôt. C'était d'autant plus visible que l'horaire d'été n'avait pas encore été réinstauré dans les années 60. Les journées étaient rognées de bien une demi-heure le soir, la matin également mais là, cela nous affectait moins.
Les sucres d'orge, les maxi-sucettes à rayures, les coquillages-bonbons, les noisettes grillées, les nougats et le baaradrag (réglisse), cette espèce de lacet noir au goût âcre, enroulé à plat autour d'un bonbon aux couleurs différentes mais au goût identiquement fade, qu'il convenait de mâchouiller avec lenteur et délectation.
Petits, nous n'avions le droit de monter que sur un manège, celui qui était garni de chevaux, de cochons, de motos, de carrosses de princesses ou de voitures décapotées. L'embarras du choix, en somme. Prendre place sur un sujet articulé n'était pas toujours le bon plan pour tenter d'attraper le pompon qui pouvait faire gagner un tour de plus manège et gratuit. Toutefois, rares étaient les gamins qui parvenaient à l'attraper. Accroché à une ficelle actionnée par le patron du manège, celui-ci s'empressait de faire remonter l'objet convoité, lorsqu'il frôlait les petites mains qui s'agitaient dans sa direction. Jamais eu de tour gratuit, moi, snifff...
Les barques-balançoires étaient une attraction assez rudimentaire et discrète qui finit par disparaître complètement, tout comme les schlüdr-sassalas (sièges tournants), supplantés par les auto-box (voitures tamponneuses) qui s'imposa rapidement comme l'attraction phare de toutes les fêtes.
Le manège pour les petits trônait sur le triangle qui mène actuellement à la rue des Meuniers, très allongée depuis que de nombreuses maisons d'habitation se sont élevées dans ce périmètre qui n'était autrefois que des champs, des vergers, des jardins maraîchers et un enclos à vaches avec son abri en tôle ondulée, en forme d'igloo, où nombre d'entre nous avons usé, voire déchiré, nos fonds de culottes en nous laissant glisser sur les fesses après avoir grimpé dessus!
Les auto-box s'installaient à droite de la mairie. C'était avant qu'elle ne soit agrandie d'un bon tiers. Le bâtiment faisait en quelque sorte office de mûr anti-bruit entre les 45 tours qui hurlaient les tubes de l'été et les yéyés des manèges, et l'orchestre qui incitait jeunes et plus vieux à la danse sous le chapiteau érigé à gauche, sur l'actuel parking et toujours place des fêtes à l'occasion du 14 juillet ou du Marché de Noël.
Avant que les sociétés organisatrices de la kilbe n'exigent un droit d'entrée payant, les hommes se devaient de passer à la caisse pour acquérir des dàntz-kaardlas (tickets de danse) . Chaque carton leur donnait le droit de monter sur la piste de danse et d'exécuter une série de trois valses, autant de marches, de tangos ou de slows avec la partenaire de leur choix. C'était à la fois intrigant et amusant d'observer les jeunes gens. Armés de leur ticket, ils arpentaient les espaces entre les tables et bancs remplis de gens, disposés de part et d'autre de la piste de danse, pour se mettre en quête d'une danseuse. Pas toujours évident car il fallait essuyer des rires ou des refus parfois. C'était aussi un genre de manège pour nous, enfants, que d'observer ces approches tout en sirotant notre Fanta orange avec une paille.
(...)
(sésch pas encore fini!)
(Mars 2012)