VOUS AVEZ DIT CONFINEMENT?.....
-SAISON I -
Les restaurants avaient déjà dû fermer en plein milieu du week-end, les élections municipales n'avaient pas drainé les foules vers les urnes et la rumeur que quelque chose était en train de s'élaborer en haut lieu, devenait de plus en plus insistante. Et surtout, se répandait comme une traînée de poudre, drainait des foules vers les magasins, vidait les villes à la hâte. On ressentait une certaine angoisse, c'était certain, quelque chose chose d'inédit et de contraignant allait nous tomber dessus.
J'avoue qu'avec une amie, nous avons suivi le mouvement et contribué à vider certains rayons du supermarché du village. Des basiques comme on aime à appeler les pâtes, les boîtes de conserves, l'huile et ..... des croquettes pour le chien!
Puis je suis allée déposer le cadeau de naissance d'Ella, née début mars, car sait-on jamais ce qui nous entravera, les bébés poussent tellement vite durant les premiers mois!
Et ensuite, j'ai été marcher le long du canal jusqu'à presque nuit.
Lorsque l'annonce du confinement pour tous est tombée officiellement au journal de 20 heures, je me sentais presque soulagée. Tout allait s'arrêter de tourner pour nous empêcher de colporter ce virus aussi opportuniste qu'envahissant. On le pensait contenu mais, invisible danger, en un un rien de temps il allait coloniser la terre entière! Et, comme par temps de guerre, on finira par se rendre compte que les humains ne seront pas égaux devant la menace. Il y aura ceux qui pourront rester ou travailler depuis chez eux; et les autres qui seront en première ligne, qui devront aller au front pour nourrir, nettoyer, soigner, réguler, ..... Parfois au risque de leur vie. Car on ne savait pas comment se protéger ou les préconisations étaient contradictoires. Parfois aussi, il faut bien le dire, les "armures" en papier, en nylon ou en tissu faisaient cruellement défaut, du moins tout au début de cette pandémie ......
Dès le lendemain, le silence s'est installé en roi. Il a révélé ou réveillé d'autres bruits, des bruits oubliés ou occultés par d'autres devenus plus prégnants. Nos repères habituels tombèrent d'un coup. Habitant en Alsace, dans un village et au bord d'une route départementale très fréquentée à certains moments de la journée, la voilà qui s'étend là, désertée, comme boudée par les voitures et les camions qui ne passent plus que parcimonieusement.
On était mi-mars en cette année 2020 dite jumelle. Le printemps suivait son cours et encourageait les oiseaux à pousser leurs chants signant le renouveau. Même les cigognes étaient déjà revenues fin janvier, du jamais vu! Les plus doués sont les merles, il faut bien le dire, ils sont capables des plus mélodieuses trilles. Les matins étaient devenus tellement beaux et artistiques que j'en oubliais d'allumer la radio!
Comme je savourais alors le bonheur de vivre dans une maison ceinturée de verdure et d'un potager à remettre en train. Les horticulteurs devant aussi rester fermés, nous devenions inventifs entre voisins! Nous extirpions graines et sachets de semences oubliés au fond d'un tiroir ou sur une étagère, et semions à tout va! Osons l'avouer, tout ne fût pas couronné de réussite, mais chut...!
Ooh...., la bien étrange sensation..., mais sortir de ma tanière, m'approcher du grillage ou du portail, relevait presque de l'acte de bravoure sinon de bravade! Et pas uniquement parce qu'il m'arrivait de remettre le même ti-shirt que la veille, enfilé machinalement, à l'aveugle, le plus souvent à l'envers, coutures apparentes (éh voui,....!). Corriger mon étourderie ne me venait même pas à l'idée en cours de journée.
Côté vaisselle, ménage et le ô combien mal-aimé repassage, un léger relâchement se fit également sentir. A quoi bon...?, il ne venait plus personne dans la maison, dans les maisons. J'aurais été bien bête de me mettre une pression ô combien inutile, pas vrai?!
Dans la limite de ma portion de rue on a redécouvert le plaisir de se parler sans être obligés d'élever la voix ou de souligner les dires par des gestes. Nous pouvions d'échanger longuement sans devoir faire des pauses pour laisser passer les voitures dont le bruit des moteurs couvraient une bonne partie de nos dires. Là il n'y en avait pratiquement plus, ou que de très rares qui passaient encore. Je me suis crue projetée quelques 50 années en arrière lorsque les véhicules à moteur, voitures, camions et tracteurs, s'égaraient plus que rarement dans les rues de nos contrées. Des aboiements, des beuglements de vaches qui appelaient à la traite et/ou le cliquetis des nombreux métiers à tisser qui complétaient les revenus des trains de culture,.... étaient les bruits qui meublaient mon enfance.
Et Jean en face de se remémorait et de narrer son premier confinement durant la guerre, alors qu'il avait 8 ou 9 ans. Ils se retrouvaient alors à 19 à dormir durant 90 nuits dans la cave des Herrgott, à l'abri des bombes et des obus qui avaient détruits ou lourdement endommagé nombre d'habitations et de granges dans le village. Il ne pensait pas avoir à revivre une situation analogue un jour. Ma mère aussi, faisait partie des 19 hébergés; elle n'avait pas encore 20 ans et était devenue orpheline durant ce conflit et déjà veuve de Théodore, son premier mari. Mais ça, elle ne l'apprendra que des années plus tard...
Cette évocation m'aida à relativiser mon quotidien insolite. Ok, nous étions tous consignés chez nous, c'était le printemps, nous vivions à la campagne, entourés d'espace et de verdure, pas dans une grande ville, sous les toits cuisants d'un soleil complice. Nous mangions à notre faim, nous pouvions sortir durant un temps imparti pour nous approvisionner, avions des ciseaux pour nous raccourcir la frange si besoin, et, nous pouvions dormir tranquillement dans nos lits.... Parfois nous nous sentions un peu vides et déboussolés à fonctionner ainsi au ralenti. On nous parlait de guerre mais même si nous avions à nous préserver et à nous prémunir d'un ennemi invisible et envahissant, tueur sûrement, nous n'avions pas à craindre que des avions -qui, soit dit en passant, ne dessinaient plus de lignes blanches dans le ciel- lâchent des bombes sur nous et détruisent nos maisons. Il a existé et existait de par le monde, des conditions bien plus pénibles et anxiogènes que celle qui nous vivions en ce moment. Et peu importait de savoir d'où il venait, ce satané virus, ni même d'où il s'était échappé. Après avoir muté ou été créé par un apprenti sorcier un brin illuminé?... Il était là et il fallait composer avec, tout en éprouvant de la reconnaissance et de la gratitude envers tout ceux qui, souvent avec des moyens dérisoires -si toutefois ils en avaient à disposition-, tentaient de sauver des vies dans des hôpitaux surchargés et démunis de munitions pour combattre ce danger inédit.
S'il n'y avait ces gens du village ou tout le monde se connaît plus ou moins, qui tombèrent malades du coronavirus, comme on l'appelait alors, avant qu'il ne fut question de Covid 19, puis ceux qui durent être transférés dans des hôpitaux au loin, au delà des frontières car même l'hôpital de Sélestat était dépassé par tous ces patients qui y convergeaient. L'Alsace couvait et en abritait beaucoup, des malades de ce virus.... vers la fin mars, d'entendre le ballet régulier et incessant des hélicos du Samu qui au-dessus de nos têtes, faisait juste froid dans le dos.
Et il y eut aussi ceux qui s'en allèrent pour toujours. En avril et mai 2020 il y eut presque autant d'enterrements à Hilsenheim que durant une année entière. Mon dieu, des enterrements plus que discrets et on ne peut plus minimalistes. Pour les familles touchées par le deuil, ne sélectionner que dix personnes pour assister à ces mises en terre, se tenir à distance, sans pouvoir se soutenir les uns les autres, sans la présence de l'église, des voisins ou des paroissiens; ça a dû être poignant et marquer à vie.
Août 26/2020
Suivra ultérieurement :- SAISON II -
Décembre 11/2020